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Critique de DETHYREPatricia


Fan inconditionnelle d'Andréa H. Japp, notamment pour ses romans historiques, je découvre progressivement ses autres collections et autres romans policiers plus contemporains.

Le Silence des survivants m'a intéressée dès lors qu'il évoquait en filigrane, et au-delà de l'affaire criminelle dont il est question - l'histoire du beau-père, ex-déporté juif des camps de la mort et celle - moins connue - de Sok Bopah devenue Isabel à son arrivée aux Etats-Unis, confrontée alors qu'elle était encore une enfant, à la barbarie des camps des Khmers rouges, sous la direction du tyran cambodgien Pol Pot (1975-1979).

De quoi s'agit-il ?
Tout d'abord, en guise d'incipit, ce court roman de 220 pages s'ouvre sur une scène de torture particulièrement cruelle, perpétrée a priori par un adolescent au nom de Prince Rock. D'emblée, on ne voit pas très bien le lien avec la suite, mais quand on sait que les profileurs du FBI identifient bon nombre de psychopathes et de tueurs en série par leur passé de tortionnaires ou tueurs d'animaux... on imagine que ce Prince Rock sera peu ou prou concerné par les crimes dont il sera question.

Puis, Andréa H. Japp nous montre le quotidien d'une famille de classe moyenne, somme toute normale, de Bedford (Etat de New-York), les Kaplan : le père comptable, la mère au foyer obsédée par l'ordre et faisant de façon compulsive des réserves pour ne pas manquer, les deux enfants (une ado de 14 ans, un garçon étudiant boursier au MIT ayant récemment pris son indépendance en logeant à Boston).
Normale, à deux différences près :
1/ le grand-père des enfants (et beau-père de la femme) Simon (70 ans) vit avec eux depuis la mort de sa femme et cache le cancer en phase terminale dont il souffre.
2/ malgré l'absence de liens génétiques, Simon et Isabel se trouvent liés par une souffrance commune : celle d'avoir vécu en camp (de concentration ou d'emprisonnement), d'avoir connu l'indicible et par une attitude commune : celle se murer dans le silence pour tout ce qui a rapport à ces périodes de leurs vies. Ainsi, même sans se parler, ils se comprennent.

Pourquoi se taire ? Pour ne pas revivre l'horreur, pour tenter d'aller de l'avant, pour ne pas perturber les autres membres de la famille dont ils savent qu'ils ne peuvent comprendre ce qui a été, pour ne pas être caractérisés, personnifiés par rapport à ce seul vécu, etc. On retrouve là l'attitude caractéristique des rescapés de la Shoah qui ont longtemps caché à leurs enfants la réalité de ce qu'ils avaient vécu.

Et puis, une fin d'après-midi, la fille, Sam, ne rentre pas de l'école. Fugue, enlèvement, ou quelque chose de plus terrible ? L'attente est insoutenable pour ses parents et son grand-père. Jusqu'à l'annonce, quelques jours plus tard, du meurtre : Sam a été tuée de façon particulièrement violente et cruelle, au point qu'elle est physiquement méconnaissable ! L'ordre sera d'ailleurs donné de sceller son cercueil afin que sa mère n'ait pas à souffrir par une dernière image d'elle vraiment insoutenable.

Le FBI est sur le coup, car en fait Sam est la troisième victime référencée. Ce qui laisse penser à un tueur en série opérant dans les environs. L'enquête est conduite par un conseiller spécial du FBI, John King, ex-prêtre, personnage énigmatique et sombre aux motivations complexes.

Dès lors, le quotidien de la famille vole en éclats !
Déjà que l'on ne parlait pas beaucoup dans la famille, là c'est silence radio sur toute la ligne. le père, un moment donné, disparaît aussi et ne donne plus de ses nouvelles, le fils dit s'être acheté une arme pour aller à la poursuite du meurtrier, la mère et le grand-père se murent dans le silence dans l'attente des avancées de l'enquête... qui n'avance pas beaucoup.

Puis, un autre corps de jeune fille est retrouvé. le rythme s'accélère : il faut impérativement trouver ce tueur en série. Isabel et Simon ne supportant plus d'attendre, impuissants, vont chercher des pistes de leur côté...

Et puis, un détail, un bout de papier insignifiant les mettra sur la voie d'une terrible réalité ! Dès lors, ils savent tous deux qu'ils n'ont plus rien à perdre, car de toute façon, ils sont déjà morts. Ils iront donc jusqu'au bout pour retrouver celui qui leur a ravi Sam... et les autres.

Dans ce thriller à l'atmosphère particulièrement glauque, violente et sombre, on verra comment le passé peut influencer le présent, mais aussi comment la réalité d'un présent douloureux peut réactiver les traumatismes du passé, au point d'annihiler sa volonté de vivre.
Le lecteur engagé dans cette lecture, non pas difficile par le style, mais difficile sur le fond... est amené à découvrir trois histoires qui s'entremêlent : celle au présent (les crimes et les enquêtes), celles du passé : de Simon (et de sa maman gazée à son arrivée au camp), et de Sok Bopah (devenue Isabel) et à comprendre le caractère jusqu'au-boutiste des décisions prises par eux.

Les thématiques abordées dans ce livre sont plurielles :
l'évocation des camps de la mort et la difficulté des rescapés à vivre l'après ; l'évocation des camps d'emprisonnement des Khmers rouges et des séquelles des tortures et des viols pour les personnes qui en ont été victimes ; la difficulté de ressentir de l'amour, des sentiments quand on a vécu de tels drames ; la difficulté de croire en Dieu ; la façon dont peut être menée une enquête du FBI à la recherche d'un tueur en série ; la façon dont peut vivre un ex-prêtre devenu limier de criminels pour le compte du FBI : quid de la parole donnée ? du pardon ? du sexe ? les relations jeune homme/jeunes filles quand on est introverti ? les relations frère/soeur ; les accommodements entre religion juive et catholique, la violence des gangs et la difficulté d'accéder à certains endroits... mais aussi l'omniprésence des voisins voyeurs et inquisiteurs (et cette façon de se mêler toujours de ce qui ne les regarde pas) dans la culture américaine !

Pour ma part, j'ai trouvé que tout était rondement mené même si certaines zones auraient mérité, à mon sens, d'être mieux explicitées (ex : la "paternité" du vieux cambodgien et ses liens avec son fils et/ou héritier putatif... l'ellipse est à mon avis un peu trop elliptique, d'où un manque de clarté dans le propos). de même, la personnalité et le rôle de John King me semblent ne pas avoir été suffisamment développés. On ne comprend pas bien quelle est sa stratégie.

En revanche, j'ai bien aimé le registre de langue, le rythme dans l'écriture, la façon dont l'introspection des personnages Isabel et Simon était décrite et expliquée... Par contre, vraiment, ce livre m'a laissé une impression de malaise grandissant tant la saleté des lieux est omniprésente, tant les scènes de tortures et de violences décrites sont dures à visualiser et à accepter. Et puis, il y a comme un fatalisme déroutant dans les propos des commençants et hôteliers de la zone... Comme s'il était inéluctable de ne rien faire (quid du rôle des autorités et de la police ?) dans ces zones de non droit désertées par "les gens normaux" et livrées aux gangs de Boston. On laisse pourrir les choses car il n'y a rien à faire ?

Je crois que je vais vite passer à autre chose pour pouvoir l'oublier et remettre un peu de couleurs dans mon été !
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