AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de JustAWord


C'était en 2007 que débarquait un certain Jean-Philippe Jaworski avec le superbe Janua Vera, un recueil de nouvelles qui allait (déjà) faire grand bruit. Suivi deux ans plus tard par le pavé Gagner la Guerre, l'oeuvre du français allait petit à petit s'imposer dans le paysage imaginaire francophone.
Après un détour dans un autre univers plus celtique avec Les Rois du Monde, Jean-Philippe Jaworski revient enfin au Vieux Royaume avec le Chevalier aux épines, un roman colossal séparé en trois parties pour l'occasion. Avec ce premier volume intitulé le Tournoi des Preux, l'écrivain français nous refait le coup de Gagner la Guerre en reprenant l'un des personnages de Janua Vera, à savoir le chevalier Ædan entrevu dans la nouvelle « Au Service des Dames ».
Situant son action deux ans après les évènements de Gagner la Guerre, le Chevalier aux épines change tout et rien à la fois à la formule Jaworski…pour le plus grand bonheur de ses lecteurs !

Gagner la joute !
Avant d'entrer dans le vif du sujet, il va nous falloir causer un peu de ce qu'il se passe dans le Chevalier aux épines. Et cela n'a rien d'une mince affaire puisque Jean-Philippe Jaworski procède de la même façon qu'un George R.R. Martin ou qu'un Glen Cook en nous projetant directement au sein de ses royaumes et de ses lignées royales avec profusion de noms, de lieux et de faits historiques. Mais n'ayez crainte, la maestria narrative coutumière du français opère bel et bien pour nous maintenir la tête hors de l'eau. Et une fois que vous avez appris à nager, c'est un vrai bonheur.
Nous sommes cette fois entre le Duché de Bromaël et le Comté de Kimmarc respectivement dirigé par le Duc Ganelon et le Comte Angusel.
Si le premier est le seigneur du second, son vassal n'est pour autant pas très heureux de se plier à la volonté du Duc.
Mais tout cela n'est guère la préoccupation principale du récit au départ puisque celui-ci débute avec des manants qui assistent à un affrontement imprévu entre deux chevaliers : Ædan de Vaumacel et Yvorin de Quéant. L'incompréhension est totale car les gens du Chanevier, le petit village où commence l'action, n'ont aucune querelle avec ceux de la noblesse.
C'est même le contraire puisque le sire Rainfroi, suzerain de ces terres, a offert son concours pour rechercher un jeune garçon du village fraîchement disparu.
Et c'est cette affaire de disparition, dont les gens de Chanevier ne sont pas les seuls à souffrir, qui intéressait la veille sire Ædan !
Ce qu'ils ne savent pas, c'est que le preux Ædan a beaucoup à se faire pardonner. Accusé par le duc Ganelon et sa cour d'avoir déshonoré la duchesse Audéarde en allant bien au-delà de la courtoisie due à son rang. Répudiée et emprisonnée, Audéarde est vite remplacée par Clarissima, fille du souverain de Ciudalia, et l'affaire devient hors de contrôle quand les fils du duc Ganelon, Blancandin et Méléagant, prennent le parti de leur mère trahie. Mais si une chose met tout le monde d'accord, c'est la couardise du sire Ædan de Vaumacel qui n'est même pas venu défendre la duchesse lors de son procès alors qu'il en était l'un des principaux acteurs.
Depuis, tous les preux cherchent à le défier et à le faire prisonnier… ce que tente Yvorin avant de vider les étriers et de comprendre que d'autres raisons expliquent l'absence remarquée d'Ædan.
Il propose alors au chevalier aux épines de trouver le pardon en venant défendre l'honneur de la duchesse lors d'un tournoi à Lyndinas où la fine fleur des chevaliers de Bromaël et du Kimmarc vont s'affronter dans le fracas des armes. Seulement voilà, Ædan doit avant cela résoudre les mystérieuses disparitions d'enfants qui frappent les campagnes du duché et qui pourraient bien à voir avec ces affaires de dames…
Une fois tout cette mise en place terminée, vous comprendrez aisément que Jean-Philippe Jaworski n'a rien perdu de sa manie du détail et de son souci d'univers. le Chevalier aux épines se veut autant fantasy que pinailleur, d'une précision diabolique aux entournures pour composer un ensemble de royaumes plus vrais que nature qui constituent ainsi la toile de fond de l'intrigue.
Une intrigue qui, pourtant, semblent n'avoir rien d'unique de prime abord mais le français a un plan, comme toujours, et les fils de la tapisserie se resserrent lentement sur le lecteur…

Une chevalerie de façade
Pour cette seconde incursion romanesque dans le Vieux Royaume, il semble que Jean-Philippe Jaworski souhaite prendre le contre-pied total de son premier roman, Gagner la Guerre. Exit la Renaissance Italienne et les tribulations de l'assassin Benvenuto Gesufal, nous voici dans une ambiance chevaleresque et courtoise où de nobles héros en armure en viennent aux mains pour l'honneur d'une dame. L'écriture riche et particulièrement généreuse de Jean-Philippe Jaworski pioche dans les récits chevaleresques d'antan, lorgne vers le roman courtois et la matière de Bretagne.
Bref, rien à voir.
… Vraiment ?
Sous ce vernis courtois et particulièrement élégant, où l'on cause d'honneur toutes les deux tirades et où l'on respectent des codes pompeux, Jean-Philippe Jaworski vient insidieusement changer la donne.
Petit à petit, les machinations politiques se mettent en place, les coups bas et les traitrises pleuvent, et la violence, toute drapée de cotte de mailles et de rubans de damoiselles, revient à la charge sans ménager personne.
Le Chevalier aux épines devient vite une image en miroir des machinations de Gagner la Guerre, habillé avec force élégance et orné de bien jolis mots pour donner aux affrontements et aux entourloupes un aspect plus noble et présentable.
Seulement voilà, les hommes restent des hommes.
Par un souci maniaque du détail et un sens du rythme qui n'est plus à démontrer, Jean-Philippe Jaworski installe ses personnages, et notamment Ædan de Vaumachel et Yvorin de Quéant, pour mettre à jour les rouages de la guerre qui s'annonce entre les deux partis. C'est également l'occasion de donner une histoire à cette partie du Vieux Royaume, entre guerres fratricides et révolte sans compter les barbares aux portes du comté de Kimmarc. La profusion de noms seigneuriaux devient petit à petit familière et tout cela culmine dans le fameux tournoi de Lyndinas où Jean-Philippe Jaworski se lance dans la bataille à corps perdu.
Morceau de bravoure littéraire complet, les deux affrontements successifs du roman montre la capacité quasi-surnaturelle de l'auteur français à basculer de la description d'univers et de la construction d'intrigues politiques vers l'épique et le guerrier en quelques pages. le résultat laisse le lecteur cramponner aux pages du roman tout en gardant une fluidité et une lisibilité parfaite de l'action alors que le chaos règne le plus souvent.
Épique mais aussi intime et contemplatif, le Chevalier aux épines alterne les points de vues pour mieux capter la pluralité de ce monde médiéval bien moins courtois que vous ne le penseriez…surtout si vous n'êtes qu'un vilain à la merci des gens d'armes !

Et une touche de magie…
Mais au-delà des machinations ducales et des lances brisées sur le pas de Lyndinas, Jaworski n'en oublie pas la part fantasy de son nouveau roman.
Une fantasy toujours douce et discrète qui passe par plusieurs sous-intrigues bien mystérieuses et qui abordent chacune des peuples/factions aux marges tels que les Elfes ou les dévots du Desséché.
De façon surprenante et audacieuse, c'est un chat, Mirabilis, qui nous guidera la plupart du temps dans les arcanes magiques, se baladant dans la trame du temps à coups de pattes et cavalcades pour débusquer les fils magiques qui se tendent presque invisibles pour le commun des mortels.
À ce stade, Jean-Philippe Jaworski multiplie les mystères : le retour en force d'une faction religieuse sinistre, l'identité du véritable narrateur de l'histoire et ses liens avec une certaine Dame des futaies bleues, un trio de chevaliers elfiques affublés de noms d'oiseaux sans parler d'une certaine Lissandière, magicienne particulièrement proche d'Ædan et d'un autre mystérieux chevalier du Duc. Finement, subtilement, habilement, Jean-Philippe Jaworski rajoute une couche souterraine à son histoire principale, comme si d'autres puissants se tiraient la bourre derrière cette façade mortelle et artificielle.
Ce qui est certain, c'est que l'auteur français n'a rien perdu de sa force évocatrice et de sa manière ténue de disséminer les éléments fantastiques dans un récit qui pourrait autrement paraître fortement réaliste (voire historique si l'on se prend suffisament au jeu).
Enfin, et cela reste chose appréciable, Jean-Philippe Jaworski montre qu'il n'est nullement nécessaire d'être au premier plan pour influencer l'histoire. Non seulement par le fait des éléments fantastiques suscitées mais aussi parce que la quasi-totalité des personnages du Chevalier aux épines ont beau être des hommes, ce sont bel et bien les femmes, bien plus intelligentes et réfléchies, qui provoquent les grands évènements du roman. En coulisses, la gente féminine subit la cruauté et la bêtise de ces hommes qui se disputent leur honneur et leur couche… bien qu'on puisse s'en servir mais cela reste un jeu dangereux qui mène droit au couvent et à l'infâmie. le caprice des hommes, surtout des puissants, restitue une image d'époque où la femme est un prétexte commode à la guerre.
Le jeu des trônes n'a pas encore véritablement commencé lorsque se conclut ce premier volume mais dans le chaos des armes, on sent poindre la trahison et la perfidie, laissant notre bon Ædan dans une posture pour le moins précaire. Nul doute que Jean-Philippe Jaworski, après avoir prouvé une nouvelle fois l'étendue de son talent de jouteur et de poète, nous réserve pas mal de surprises !

Formidable retour dans le Vieux Royaume, le Chevalier aux Épines prend un abord complètement différent pour un résultat au moins aussi fantastique que son illustre prédécesseur. Jean-Philippe Jaworski domine la fantasy francophone de la tête et des épaules, imposant une écriture extraordinaire et des personnages captivants pour servir un monde d'une richesse toujours plus grande. Voilà ce que l'on appelle un retour gagnant !
Lien : https://justaword.fr/le-chev..
Commenter  J’apprécie          431



Ont apprécié cette critique (36)voir plus




{* *}