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Critique de Kirzy


Anna est tirée au sort comme jurée d'assises lors du procès de Frédéric Gagneron et de sa compagne de l'époque Lucile Moulin. Ils comparaissent respectivement pour « empoisonnement et homicide volontaire » et « empoisonnement et complicité d'homicide ». La tante du premier est décédée dans sa salle à manger à l'âge de 73 ans. Un flacon d'antidépresseurs bien visible sur la table laisse penser à un suicide ; l'enquête montre qu'elle a en fait été empoisonnée à l'amitriptyline depuis des mois et s'est fait étrangler. Elle était riche. C'est son neveu dans le besoin qui hériterait.

« La justice n'est pas une statue de village sur laquelle les pigeons se posent, la déesse Thémis avec son bandeau, sa balance et son glaive, une émanation grise rendant au nom du peuple français des verdicts étanches. Ce sont des hommes et des femmes ordinaires, comme la juge, comme moi, comme Marie-Véronique incapable de continuer à siéger. Des gens ordinaires entre les mains desquels on place un pouvoir incommensurable. »

Anna écoute, se fait son film, échafaude des hypothèses, essaie de creuser les psychologies des accusés et de la victime. C'est à travers ses yeux que l'on suit les cinq jours du procès. Comme elle, je suis passée de l'empathie, à la méfiance et la suspicion, troublée par la parole des témoins ou des rapports d'enquête. Comme elle, j'ai rongé ma frustration face aux incertitudes, aux silences des accusés, aux questions sans réponse. Qu'il est difficile de ne pas chercher à combler ces vides par de l'affect ou des suppositions; qu'il est difficile de les accepter et d'accepter que, peut-être, parfois, il ne faut pas obligatoirement un coupable pour rendre la justice.

Oui, grâce à la subtilité du récit de Claire Jéhanno, sa sensibilité et la limpidité de sa narration, cette expérience de jurée sonne juste avec des accents de vérité vraiment remarquables qui en permettent une compréhension au plus près de la complexité des enjeux et des dilemmes liés à cette mission.

Pour autant, ce n'est pas un classique roman de procès dont on suivrait le déroulé du jour 1 au jour 5 de façon linéaire. En parallèle, se joue un tribunal intime dans la tête de la jurée. Anna a vécu un drame lorsqu'elle était enfant, dont le traumatisme, jamais réellement guéri, est violemment réactivé, et les fantômes qu'il charrie avec.

Je n'ai pas été convaincue par l'articulation de l'arc narratif procès avec celui de l'histoire personnelle d'Anna. L'autrice joue sur une ( trop ) grosse coïncidence, ce qui fait que je n'ai pas cru au personnage qui permet ce pont. Tout s'enchaîne et s'imbrique bien mais le scénario est presque trop « écrit » pour être vrai.

Mais, peu importe cette réserve car j'ai été totalement prise embarquée par le double suspense ( le verdict du procès et la vérité sur le traumatisme d'enfance d'Anna ), d'autant que la présence émotionnelle d'Anna est puissante. Jusqu'au vertige lorsqu'on réalise pleinement que chaque juré s'avance à la cour d'assises avec son histoire, ses failles : « Comment peut-on faire reposer l'avenir des accusés sur de simples mots » quand on a soi-même la mémoire écaillée ? Comment se reposer sur les souvenirs des autres lorsqu'on ne peut se fier aux siens propres ?

Plus qu'une histoire de procès, un très beau portrait d'une jeune femme qui se libère.

Lu dans le cadre de la sélection 2024 des 68 Premières fois #1





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