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Critique de beatriceferon


Depuis qu'il est à la retraite, le professeur Dumont, un spécialiste de la civilisation celte, va faire, chaque jour, une balade avec son chien. Il ne désespère pas de déterrer quelque vestige d'une forteresse qui, selon lui, dominait le versant d'une colline.
Ce matin-là, Sultan se met à aboyer. Sans l'ombre d'un doute, il a trouvé quelque chose d'intéressant. Mais, bien loin d'une relique du passé, c'est un cadavre tout frais que découvre Dumont.
Enfin, tout frais... C'est un bien grand mot. Ce corps de femme, tout démantibulé, a sans doute dévalé d'un sentier en surplomb. Vite, il faut alerter les gendarmes. En 1987, pas encore de portable. C'est donc à l'Hôtel des Roches que se rend le professeur.
Un peu plus tard, on ramène la civière au parking de l'établissement. « Mais, c'est Grâce ! » s'exclame la patronne, « La femme à Momo ! »
Il y a des moments de l'année dont on attend le retour avec impatience. En ce qui me concerne, c'est le mois de février qui m'apportera le nouveau roman d'Armel Job.
Le titre de celui-ci me semble particulièrement intrigant. L'auteur a pour habitude de situer son action dans des paysages imaginaires qu'il crée, je suppose, en amalgamant des éléments empruntés à divers décors. Pourtant celui-ci, je suis allée le vérifier, en dépit d'un nom semblant sorti tout droit d'un conte de fées, est bel et bien réel. J'entendais « amer-coeur », ce qui correspond bien au personnage de Momo, lui dont le coeur a de quoi se remplir d'amertume.
Dans les premières pages, un narrateur, dont le lecteur ne connaîtra jamais l'identité, - mais qu'importe – replonge, avec une certaine nostalgie, dans ses souvenirs de jeunesse. Maurice Modave, qu'on surnomme « Momo », n'avait que lui comme ami. Ils ont fréquenté la même école, et, au cours d'un camp scout, ont planté leur tente face à un éperon rocheux surplombé par une villa semblable à un rêve.
Et aujourd'hui, le narrateur a assisté aux funérailles de cet ami. Perdre quelqu'un de son âge ramène, inévitablement, à sa propre finitude. le passé ressurgit. Il va défiler, tout au long du roman, sans que le narrateur du début se manifeste. Il ne réapparaîtra qu'à la fin, pour conclure. Par conséquent, le lecteur est amené à se forger sa propre opinion, en rassemblant, au fil de l'histoire, les pièces d'un puzzle habilement semées. Gare aux idées préconçues ! Enfant, Momo s'extasiait devant la villa Métis. « Un jour, dit-il, cette maison, elle sera à moi. » Tendant le doigt vers la jolie femme accoudée à la balustrade, son ami objecte qu'elle a déjà une propriétaire, sans doute pas prête à la céder. « Alors, c'est simple, je la basculerai par-dessus le parapet. »
A la page suivante, un corps semble réellement avoir basculé. Les années ont passé, Momo habite la villa de ses rêves. C'est sa femme qui vient de dégringoler la pente. Est-il devenu cet assassin que sa fanfaronnade d'adolescent laissait entrevoir ?
C'est ce que pensent, en tout cas, bon nombre de personnes. L'enquête, puisque enquête il y aura, est présentée à travers la vision de divers protagonistes, qui tous se sont déjà forgé un avis.
Pas de suspense haletant à l'américaine. Ces investigations ne sont que prétexte à analyser les relations humaines, l'atmosphère villageoise, le revirement des opinions.
Le professeur Dumont, qui a découvert la victime, voit là un dérivatif à son ennui. Spécialiste des Celtes, il se targue d'exhumer cette forteresse qui, selon lui, défendait fièrement la vallée. Ou alors n'était-ce qu'un fantasme destiné à le maintenir dans l'illusion de son importance. Depuis sa retraite, il glisse dans la routine, et, devenir le héros d'une affaire bien contemporaine va le divertir et lui procurer son quart d'heure de gloire. D'autant que ce ronron quotidien ne date pas d'hier, semble-t-il. Tout son savoir, il l'a concentré dans un unique ouvrage, « vendu au rythme soutenu d'une dizaine d'exemplaires par an, correspondant au nombre de ses étudiants, pour lesquels c'était une lecture obligatoire. » Ce qui ne laisse pas imaginer un cours passionnant que l'enseignant se fait un devoir de continuellement diversifier et enrichir !
L'adjudant-chef Guillaume vise un poste à la PJ et potasse assidûment le « Manuel de l'enquêteur judiciaire » du commissaire Vandeputte.
Lætitia, la soeur de la défunte, lance une terrible accusation le jour-même de l'enterrement et les amis de la veille se détournent immédiatement de leur ancienne idole.
Les aubergistes se passionnent pour l'affaire. Un bon petit parfum de scandale n'est pas pour leur déplaire et a des chances d'appâter le client.
Le notaire ne manque pas d'enjamber son devoir de réserve pour déverser son fiel au cours d'une soirée bien arrosée.
Et, au centre du cercle, il y a celui qu'on ne prend pas la peine d'écouter, Momo et ses relations plus qu'ambiguës avec sa mère.
Pour soutenir l'histoire, on se délecte du style. Armel Job excelle dans les remarques ironiques et surprenantes. Ainsi la description du panier de la ménagère, où, « à la place des attendus sachets en papier kraft d'où s'échappaient le cou des poireaux ou la tignasse frisée d'une endive, se dressait la bobine d'un petit garçon. » En quelques mots, les légumes prennent vie, ils ont un cou surmonté d'une chevelure, alors que l'enfant, avec sa « bobine », a l'air d'un simple jouet.
Les paysages ne sont pas en reste : « De loin en loin, des hameaux composés d'une poignée de maisons jalonnaient la grand-route. Entre eux, quelquefois, des maisons disséminées, comme si quelques grains s'étaient échappés de la main qui avait semé les villages. » Difficile, à mon avis, de trouver plus juste et plus imagé.
Évidemment, ce roman m'a beaucoup plu et je le recommande avec enthousiasme. Non, c'est vrai, je n'ai rien dit de l'intrigue. A vous, maintenant, de la découvrir.
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