Or, non seulement mon père n'a jamais possédé l'autorité ni exercé la pression que le mot "père" symbolise, mais de plus, il était faible. C'est par la douceur et la persévérance qu'il s'opposait au monde. Je pense que seul un homme qui sait faire la cuisine sait ce que c'est que la vie. Les enfants qui ont grandit en mangeant la nourriture que leur père leur a préparés, même occasionnellement, s'en souviendront à coup sûr avec bonheur.
La plupart des clients venus manger du riz d'orge mélangé à de la pâte de soja bouillie avec des anchois avaient plus de cinquante ans. J'ai pris ma place parmi eux pour déguster moi aussi mon riz à l'orge avec de la pâte de soja bouillie, et beaucoup de pensées me sont venus à l'esprit. A cet instant là, peut-être n'étais-ce pas du riz à l'orge, mais mon enfance, que j'étais en train de savourer.
" On dit qu'obligatoirement, un chou chinois doit mourir cinq fois pour procurer un goût intense. La première fois, c'est quand on se saisit d'un bon gars bien fait, par le cou et qu'on l'arrache de terre d'un coup sec, la deuxième fois, quand on le pose sur la planche et qu'on le coupe en tranches d'un couteau scintillant, la troisième fois, quand on le couche pour qu'il dégorge dans une énorme bassine de caoutchouc remplie de saumure. La quatrième fois quand tout son corps est inondé d'un sang rouge, de piment, d'ail et de gingembre. La cinquième et dernière fois, quand on l'enterre dans un cercueil appelé jarre et qu'il retourne à la terre. "