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Critique de Kirzy


C'est mon coup de coeur récent pour le dernier roman de Stephen Graham Jones, Un bon indien est un indien mort, qui m'a amenée à remonter jusqu'à Galeux, son premier roman traduit en France. Toujours dans une veine fantastique mais moins horrifique, le récit est mené essentiellement à la première personne, celle d'un garçon élevé dans une famille itinérante de loups-garous dans l'Amérique d'aujourd'hui, forcés par leur condition à se déplacer dans tout le Sud des Etats-Unis. On les suit des huit au dix-sept ans du garçon. Avec l'adolescence, il voit son corps changer, ses émotions s'exacerber mais ce qu'il attend, c'est de savoir si lui aussi a le gène loup-garou, si lui aussi va se transformer. Son oncle et sa tante sont persuadés que oui, mais la transformation lycanthropique tarde …

Les thèmes de l'appartenance et de l'identité sont omniprésents dans ce roman initiatique. le garçon est poussé par un désir désespéré de devenir un loup-garou, hanté par la mort de sa mère à sa naissance, mystifié par l'absence d'un père dont on lui cache l'identité, porté par la mémoire d'un grand-père loup-garou plein de formidables histoires à raconter. En attendant sa possible transformation, il écoute les contes et légendes, observe de près sa famille, note tout afin de reprendre le pouvoir sur son histoire. Et petit à petit, il propose au lecteur un véritable guide de survie ou manuel du parfait loup-garou.

L'auteur déconstruit ainsi les clichés à la pleine lune et réinvente complètement le mythe du loup-garou en l'intégrant dans une réalité sociale douloureuse profondément humanisée. C'est ce mélange étonnant de réalisme et de fantastique qui propulse le lecteur dans le récit, même lorsque celui-ci se fait un peu confus et redondant. On découvre ainsi pourquoi les loups-garous ne peuvent pas manger de frites, pourquoi ils ne portent que des jeans, sortent méticuleusement les poubelles le soir, adorent les jeux culturels télévisés et vident consciencieusement leur vessie avant une nuit d'errance.

Les scènes d'action pure et dure sont très cinématographiques, imprimant dans les rétines les formidables scènes de transformation physique à la lisière du body horror. Pour le reste, Stephen Graham Jones cultive un ton tragicomique. Les choses tournent vite mal avec la police lorsque le « sang » prend le contrôle du loup-garou et libère ses pulsions féroces, tant il est difficile de préserver leurs secrets à l'égard des locaux 100% humains, tant il est impossible d'entretenir des relations amicales ou amoureuses avec des personnes que vous pouvez déchiqueter à la moindre explosion émotionnelle.

La forme est divertissante mais le fond chargé. le recours au fantastique est sali par la crasse de la vraie vie pour dire la douleur d'être « Autre » dans un pays peu accueillant et de plus en plus violent.

« Un loup-garou ne se résume pas à ses crocs et à ses griffes. C'est à l'intérieur. C'est le regard que tu portes sur le monde. C'est le regard que te renvoie le monde. »

On peut remplacer le mot « loup-garou » par « Indien ». La métaphore est limpide. le loup-garou, c'est l'Amérindien obligé de vivre ou survivre dans un monde moderne construit par les Blancs, devant faire avec l'héritage du traumatisme du génocide culturel passé, tiraillé entre l'acceptation des traditions ou leur refus. Pris au piège en tant que « bâtards » ( le titre originel, « Mongrels » ) alors que ce devrait être formidable de pouvoir habiter deux mondes et de les voir à travers des yeux différents.




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