AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Presence


Ce tome comprend une histoire complète et indépendante de toute autre, peut-être le premier d'une nouvelle série. Il contient les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2015, coécrits par Joëlle Jones & Jamie S. Rich, dessinés et encrés par Joëlle Jones, avec une mise en couleurs de Laura Allred.

Avon calling ! Une jeune femme se présente chez Doris Roman pour lui présenter les produits Avon (grande marque de cosmétique, vendue en porte-à-porte). Au cours de la présentation à Doris, elle lui glisse discrètement une pilule dans son thé, mais un chiot renverse la tasse. Pour achever sa mission d'assassinat, Josie Schuller va devoir se salir les mains (au risque de faire une tâche sur sa belle robe bleue pimpante).

Josie Schuller est une épouse modèle au début des années 1960. Elle est mariée à Gene Schuller. Leur pavillon de banlieue abrite le couple, leurs 2 filles, et Maman Schuller, la mère de Gene. Josie Schuller s'occupe de la maisonnée, mais elle effectue également des missions d'exécution pour une agence gouvernementale, sous les ordres de Monsieur Stenholm. Elle fait régulièrement équipe avec Peck, un homme bien de sa personne. Mais l'organisation a des doutes sur sa réelle implication, et des réticences à employer une personne à la disponibilité limitée.

Difficile de résister à cette couverture, parodiant l'esthétique des affiches publicitaires des années 1960, avec le nettoyage d'une scène de crime particulièrement souillée, laissant supposer un affrontement sans merci. Dans l'introduction, Chelsea Cain (une auteure de romans policiers) observe que non seulement le métier officieux du personnage principal sort de l'ordinaire, mais qu'en plus elle emploie des méthodes salissantes, plus masculines que féminines. Effectivement, Josie Schuller a une prédilection pour le maniement des couteaux (souvent de cuisine), ce qui occasionne d'amples épanchements de sang.

Dès la première séquence, le lecteur se retrouve avec un sourire sur le visage grâce aux images aux petits oignons de Joëlle Jones. Pour commencer, cette artiste s'investit dans la reconstitution historique à chaque page. Il n'y a pas une seule planche où les arrière-plans disparaissent. À chaque planche, le lecteur sait où se déroule l'action, regarde les ameublements d'époque, ainsi que les ustensiles ménagers aux courbes si caractéristiques. Les toilettes de ces dames sont un délice visuel de séquence en séquence, à commencer par celle de Josie Schuller, dans sa tenue de représentante Avon. Il y a bien sûr sa tenue d'hôtesse de bar dans le deuxième épisode, et le quatrième épisode permet d'apercevoir ses bas avec les attaches pour les maintenir.

Joëlle Jones ne transforme pas son personnage en un objet de désir pour les lecteurs mâles, mais elle n'atténue pas non plus sa vitalité et son charme naturel. Lorsqu'elle fait l'éloge des produits Avon, elle affiche un sourire d'une candeur ravageuse, encore rehaussé par le contraste avec la ménagère négligée qu'est Doris Roman (la clope au bec, et les bigoudis sur la tête). Dans son costume d'hôtesse, elle est sexy en diable, mais toujours avec cette dimension dangereuse qui empêche de la considérer comme un objet. Il n'y a aucun doute qu'elle n'aura pas à payer de sa personne, et que les pauvres hommes se laissant aguicher le regretteront pour le court restant de leur vie. La seule case un peu révélatrice montre un décolleté pigeonnant (page 60, au début du troisième épisode), lors d'une fête organisée chez les Schuller, l'alcool coule avec largesse (sans parler des clopes).

Il serait facile de faire le parallèle avec la série Mad Men, mais les dessins apportent une vitalité impressionnante. de manière chronique (mais sans en abuser), Joëlle Jones exagère une perspective pour accentuer un geste (Josie tendant la main à Doris (en page 2), ou une posture (Josie à califourchon sur un homme, en train de l'étrangler). En outre, l'intrigue comporte des scènes d'action régulières, ce qui augmente encore la différence avec la série TV.

La lecture constitue donc un grand plaisir graphique, avec une reconstitution visuelle soignée et authentique, et des personnages adultes, dont il faut se méfier quand ils commencent à sourire. L'intrigue se range dans la catégorie divertissement, sans velléité de faire réaliste. Ainsi les scénaristes ne s'étendent pas sur les tâches domestiques à exécuter par Josie. Les lecteurs étant des parents constateront immédiatement que la liberté d'action du personnage n'est pas compatible avec la responsabilité de 2 jeunes filles, sans parler des tâches ménagères, des courses, etc. Il y a donc plusieurs raccourcis scénaristiques pour faciliter l'intrigue.

Joëlle Jones & Jamie S. Rich maîtrisent les conventions du genre dans lequel ils ont placé leur histoire. Il y a pour commencer l'évocation d'un passé révolu : celui des années 1960. le dernier épisode se déroule en même temps que l'exposition universelle de 1962 à Seattle. Il y a les professions réservées aux femmes (essentiellement hôtesses et secrétaires). Les auteurs évoquent également la vie de banlieue, avec ses commérages (la voisine spécialisée dans l'observation de ce que font ses voisins), ou encore l'accueil plus ou moins de bonne grâce de la mère du père de famille.

Les scénaristes inscrivent également leur récit, dans le genre meurtre. Josie Schuller est une professionnelle des exécutions. le récit montre que ces mises à mort ne se font pas si facilement que ça, et que tuer une personne comprend toujours une part d'imprévu. de ce point de vue là, le meurtre, ça se mérite, et il faut fournir des efforts pour y arriver. La limite de ces assassinats se trouve dans le fait que les conséquences pour la tueuse sont très limitées. Quand elle se tache avec du sang, le lecteur ne voit comment elle s'en débarrasse avant de rentrer chez elle. Quand elle est obligée de lutter à main nue contre sa victime, elle prend des coups, mais sa peau ne semble jamais en porter la trace. Elle n'a donc pas à justifier à son mari de bleus ou d'ecchymoses. En cela, ce récit n'est pas un reportage sur une vie de tueur. de la même manière, la personnalité de Josie Schuller ne semble pas souffrir du poids de ces meurtres prémédités et de sang-froid. Il n'y a pas de conséquence psychologique.

Les scénaristes s'en tiennent au fait que cette dame tue et qu'elle y trouve une forme d'équilibre dans le partage de sa vie entre meurtres et vie de famille. Tout au long de ces épisodes, La détermination du personnage principal en impose. Elle tient tête à ses victimes (même quand elles ne se laissent pas faire), avec la même force qu'elle tient tête à son patron quand il sous-entend que les 2 aspects de sa vie ne sont pas forcément compatibles.

Régulièrement le récit comprend une respiration humoristique. Évidemment la grand-mère Schuller s'interroge sur les allers et venues de sa bru, et l'observe à la dérobée par la fenêtre, en essayant d'alerter son fils sur son comportement étrange. Mais au final, elle ne sert pas de ressort comique, et finit même par ses laisser facilement embobiner par Josie. L'agent Peck réalise plus son potentiel comique. Les auteurs en font un dérivé de James Bond, avec une tenue élégante, une propension marquée à flirter avec toutes les représentantes du sexe faible (y compris la secrétaire du patron), et une forme de condescendance vis-à-vis de sa collègue. L'affrontement physique entre lui et Josie n'en est que plus réjouissant. le quatrième épisode fait apparaître un autre assassin plus âgé, aux méthodes plus sadiques. Là encore, les auteurs se retiennent de l'utiliser comme ressort comique cruel.

À la fin le lecteur souhaite ardemment que les auteurs aient l'occasion d'écrire une deuxième histoire consacrée à Josie Schuller. Il a apprécié sa force de caractère, et la consistance de la reconstitution des années 1960. L'intrigue utilise les conventions du genre polar avec habileté pour aboutir à une résolution en bonne et due forme. Les dessins offrent une splendide reconstitution visuelle, mettant en scène des personnages plein de vie. Malgré ces réels atouts, le lecteur ressort de ce tome avec l'impression que les scénaristes n'ont pas su tirer tout le parti de leur création. L'élément comique est sous-employé. Josie Schuller ne se pose la question du bienfondé de ses actions qu'une seule fois, du fait de la nature de sa victime. La remarque de l'introduction (sur les méthodes peu féminines de Josie Schuller) ne donne lieu à aucun développement.
Commenter  J’apprécie          43



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}