L'odeur de la poudre de riz

Nous vivons dans une société où je peux vivre avec ma femme sans avoir à me cacher. Crois-tu sérieusement que c’était le cas dans les années soixante ? Tu penses que Liliane aurait pu quitter sa famille et un mariage avec un homme pour vivre une relation lesbienne au grand jour ?

Ton intelligence vive, ton rire chaud et communicatif, ton caractère impétueux et impertinent, ton corps avec ses petites imperfections et ton cœur d’or m’ont manqué.

Quand mon esprit sera incapable de se souvenir de mon propre nom, sache que mon cœur, lui, se souviendra du tien.

Quelquefois, il m’est arrivé de me demander si je n’avais pas rêvé notre histoire. Puis, je me souviens de la façon dont tu effleurais mes lèvres, avant de les mordiller pour m’obliger à approfondir notre baiser. Maintenant, je peux te le dire, je gardais souvent mes lèvres fermées pour te forcer à ce petit geste si intime.

La vérité, c’est que ce diagnostic préliminaire n’est pas une surprise. Cela fait quelques mois que je me rends compte que quelque chose cloche dans ma tête. Que parfois, j’oublie des choses que l’on vient tout juste de me dire, que j’ai des absences. Mais j’avais mis ça sur le compte de la fatigue et de la vieillesse. Mon fils a ajouté que, désormais, je ne pouvais plus rester seule chez moi, que je pouvais être un danger pour moi-même et qu’il ne pouvait pas s’occuper de moi.

Repartir dans le passé, revivre les moments de ma vie qui m’ont rendue le plus heureuse, sentir l’odeur de l’embrun et de ton parfum me chatouiller les narines, te revoir une dernière fois, rien qu’en fermant les yeux. Pierre a parlé d’examens complémentaires, de scanners et d’IRM afin de savoir exactement de quoi je souffre, mais il a lâché des mots qui m’ont fait peut-être encore plus mal que ceux qu’il m’a dits quand nous nous sommes disputés il y a presque vingt ans de cela : démence sénile.

C’est pour cette raison que je ne lis jamais de thrillers. J’ai tendance à toujours lire les dernières pages d’un roman avant de le commencer. Ça a le don d’agacer Sofia. Mais moi, j’aime bien.

Le temps efface les souvenirs, les gomme petit à petit aussi et pourtant, je me souvenais parfaitement du moindre détail de ton visage. De la courbe généreuse de tes lèvres, de ce grain de beauté au coin de ton œil droit, de ton nez aquilin. Je me souvenais de tout et à cet instant, et je crois que c’est à cet instant précis que j’ai véritablement compris que je ne pourrais jamais oublier.

Les mots ont été encore plus violents que son coup. Pourtant, je n’ai rien trouvé de mieux à faire que de me mettre à rire d’une façon hystérique. J’ai ri pendant de longues minutes pendant que mes parents me regardaient comme si j’avais perdu l’esprit et que mon petit frère passait une tête dans la pièce pour comprendre d’où venait tout ce raffut.

Mon père est un homme doux. Contrairement à ma mère, qui s’est toujours montrée plus sévère, plus stricte avec moi, il m’a toujours témoigné tant de gentillesse que sa gifle violente m’a choquée d’autant plus.

Cela faisait des semaines que je pensais à ce que tu m’avais dit avant de partir. Que je ne pouvais pas rester enfermée dans ma cage dorée, que j’allais finir par étouffer. Tu m’as dit que je ne pouvais pas passer du joug de mon père à celui de mon mari.