Je me souviens que j'étais extraordinairement calme lorsque les soldats et le rambo ont disaru. Tel est l'effet d'une peur démesurée. elle rend insensible à tout.
Rayonnante, Mabel se trémoussa sur sa chaise.
- Quand est-ce qu’on pourra dire qu’on le connaît, M. Dickens ? s’enquit-elle.
M. Watts pressa deux doigts contre son menton.
- C’est une très bonne question, Mabel. En fait, je tends à penser qu’il n’y a pas de réponse, mais je vais quand même essayer de t’en fournir une. Certains d’entre vous connaîtront M. Dickens quand nous aurons fini le livre. Il comporte cinquante-neuf chapitres, et au rythme d’un chapitre par jour, cela prendra donc cinquante-neuf jours.
Voilà qui n’allait pas être facile à expliquer à nos parents. Nous avions rencontré M. Dickens, mais nous ne le connaissions pas encore et ne le connaîtrions pas avant cinquante-huit jours. Nous étions alors le 10 décembre 1991. J’ai fait un rapide calcul : il nous faudrait patienter jusqu’au 6 février 1992.
[…]
Le temps que M. Watts termine le premier chapitre, il me semblait que c’était en fait ce garçon, Pip, qui s’adressait à moi. Ce garçon que je ne pouvais ni voir ni toucher, mais que je découvrais par lecture interposée. J’avais un nouvel ami.
Quand on l'observait attentivement, on voyait M. Watts s'enfoncer en lui-même. Il fermait les yeux, comme pour tenter de saisir des mots aussi ténus que des étoiles lointaines. Jamais il ne forçait la voix. Ce n'était pas nécessaire. Les seuls autres bruits provenaient du feu, de la mer et des animaux nocturnes qui s'éveillaient dans la jungle, et eux aussi se taisaient en l'entendant. Même les arbres étaient attentifs.
La foi, c'est comme l'oxygène. Elle vous aide à survivre. Parfois, on en a besoin, et parfois on peut s'en passer. Mais quand on en a besoin, on a intérêt à être bien entraîné, sinon ça ne marche pas. C'est pour cette raison que les missionnaires ont construit des églises : parce que on ne s'exerçait pas assez avant les églises. Les prières servent à ça, les enfants. A s'exercer à avoir la foi.
...le livre qui m'a fourni un autre monde en guise de refuge à une époque où j'en avais désespérément besoin. Ce roman m'avait donné un ami en la personne de Pip. Il m'avait appris que l'on pouvait facilement se glisser dans la peau d'un autre, même quand celle-ci était blanche et appartenait à un garçon qui vivait dans l'Angleterre de Dickens. Si ce n'est pas là de la magie, alors j'ignore ce qui peut prétendre à ce titre.
... lorsque j'ai de nouveau jeté un coup d'oeil par le hublot, l'Australie s'étalait sous mes pieds, grise et plate comme une peau de bête mise à sécher.
Les rêves sont personnels...Chacun d'eux est une histoire que nul autre n'entendra et ne lira jamais.
...[le] monde parallèle que crée un lecteur à partir d'un texte.
Personne ne nous avait dit qu'on pouvait trouver des amis dans un livre. Ni qu'il était possible de se glisser dans la peau d'un autre, ou de voyager dans un pays étranger...
La sonorité de mon prénom m’emporta dans un endroit profondément enfoui en moi. Je savais déjà que les mots pouvaient vous conduire dans un autre monde, mais pas que la force d’un seul d’entre eux, destiné à moi seule, m’emmènerait dans un lieu inconnu de tous. Matilda. Matilda. Matilda.