Citations sur Un chat nommé Darwin (14)
Et voilà. J'allais finalement être obligé d'enfoncer des comprimés dans la gueule armée d'un chat, perspective que je redoutais depuis la lecture du traité de médecine vétérinaire.
Lorsqu'on ouvre la bouche d'un chat, que voit-on ? Trente quenottes polies, tranchantes comme des rasoirs : quatorze molaires et prémolaires alignées comme les dents d'une scie, qui découpent le cartilage, les tendons, les os, et que l'on appelle très justement les carnassières ; quatre crocs qui s'abattent comme des piolets, frappent les proies et les immobilisent ; douze petits ciseaux, placés entre les crocs, six en haut, six en bas, destinés à anéantir les puces et qui fonctionnent comme des peignes. L'ensemble de cet attirail est conçu pour le carnage et, lorsque vous maintenez ouvertes les mâchoires du chat, la mémoire raciale et les peurs primales de vos ancêtres simiens - disons, de ceux qui ont survécu - se réveillent, portées par le souffle d'une haleine fétide. Car le minet a eu des ancêtres, lui aussi, et beaucoup d'entre eux étaient très, très gros.
Donc, au cours de ma quarante-cinquième année sur cette sphère bleutée qu'on appelle la Terre, un chat est entré chez moi et a volé mon cœur. Il a suffi qu'il m'y invite, d'un clin d’œil et d'un bâillement, pour que je le suive vers d'étranges contrées et d'exotiques cultures. Pourquoi pas ? me suis-je dit. Je n'avais rien à perdre. C'était le bon moment. N'ayant ni femme, ni enfants, je pouvais voyager léger, explorer des lieux où les pères de famille et tous ceux qui ont juré allégeance à l'Homo sapiens ne pouvaient s'aventurer. Et je suis parti, n'emportant avec moi que l'esprit des sciences et l'amour pour ce petit être, car l'esprit et l'amour étaient les seules choses dont j'avais besoin pour ce voyage dans lequel je m'étais naïvement embarqué.
S'incliner devant les autres devient un plaisir quand on a compris que, traités avec respect, ils vous traiteront avec respect. Le jour où l'on prend conscience de cette humble vérité, on devient adulte.
Le chat offre ces révélations muettes, intimes, à l'être solitaire, car avec un chat la solitude se partage. Avec un être humain, au contraire, la solitude est bien souvent le puits d'une relation ratée.
L'amour de la vie est fait de bienveillance à l'égard du vivant, d'empathie avec ce qui souffre, et d'un émerveillement immense devant la beauté et la bonté de la Terre.
«Rentre dans le rang», c'est tout cela; un reproche allant de la gentille réprimande paternaliste à la haine absolue, selon votre degré de déviance par rapport au courant dominant. Mais si vous militez pour la défense des animaux et leurs droits, on ne vous dit plus: «Rentre dans le rang», on vous traite de «sale marginal.»
Et c'est seulement lorsque notre compagnon tombe malade que l'on mesure à quel point ce mécanisme est devenu envahissant. Le mode se fissure et s'écroule autour de nous. La souffrance du chat devient notre souffrance. Lorsque, dolent et silencieux, il ne peut plus bouger, on est immédiatement envahi par la dépression. Mais au moindre signe de rétablissement, le soleil illumine notre âme et notre humeur confine à l’euphorie.
Je pris Redondo Avenue, trajet le plus direct pour notre rendez-vous avec le destin, pas très fier de ce que j'allais faire, et remarquai soudain que ma voiture tirait à droite. Je donnai un coup de volant à gauche pour compenser, mais la voiture continua à se déporter vers la droite. Puis elle tourna, à droite, sur Anaheim Street. Je freinai ; la voiture continua malgré mes objections. Elle roula encore un petit kilomètre avant de ralentir, ralentir, ralentir pour finalement s'arrêter - juste en face de l'hôpital vétérinaire.
(...) Le destin venait justement d'annuler un rendez-vous, si bien que le Dr Mader était disponible.
Dans la relation avec un chat, un chien ou toute autre créature, pas de tromperie, très peu d'intrigues mais des possibilités fantasmatiques illimitées.
Asocial, le chat nous offre ce plaisir profond, silencieux, de la simple communion avec un autre être vivant.