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Critique de hcdahlem


Dona Alberti n'en a pas fini avec la vie
Couronnée par le Prix Medicis étranger, Lidia Jorge raconte dans Misericordia la vie de Dona Alberti, pensionnaire d'une résidence pour personnes âgées. Avec humour, émotion et sensibilité.

Quand la nuit vient l'envelopper, Dona Alberti joue avec elle. Aux questions qu'elle pose, combien y a-t-il de villes au monde? Quelles sont toutes les capitales? de quel pays Bakou est-elle la capitale, il le faut trouver une réponse. Une belle manière d'aiguiser sa mémoire, de se rappeler ce Grand Atlas qu'elle feuilletait quand elle était encore dans sa maison.
Car désormais Dona Alberti vit à l'Hôtel Paradis, une résidence pour personnes âgées. D'avril 2019 à avril 2020, elle a enregistré son quotidien et ses souvenirs sur un magnétophone. Ce roman en est la "transcription infidèle", car les 38 heures sont résumées et livrées sans les sentiments perçus à l'audition, mais aussi structuré et divisé en chapitres, accompagné de titres. En d'autres mots, une manière habile pour Lìdia Jorge de mettre en scène son travail d'autrice.
Voici donc défiler le personnel, entre ceux qui s'impliquent et s'intéressent aux résidents, Salomé, Maria Lina, Lila, Lilimunde et ceux qui préfèrent les ignorer. Lilimunde, sans doute l'une de ses préférées, parce que sa venue s'accompagne d'un parfum de bergamote, de tilleul, de cèdre et de pivoine. Mais on verra au fil du livre combien ces effluves peuvent varier en fonction des occupations et des relations de l'aide-soignante. L'occasion aussi de souligner l'importance des odeurs et des parfums dans ce récit qui éveille à la sensualité.
Voici aussi défiler les autres résidents, avec leur passé, leurs histoires, mais aussi leur quotidien, pas toujours très rose, comme ce jour où M. Paiva avait tenté de fuir et s'était cogné à une vitre. Ou quand un autre résident ne s'est pas relevé. le tableau dans l'entrée où s'affichent les portraits des pensionnaires devient alors une sorte de macabre décompte des décès, à mesure que les photos sont décrochées, comme une sorte d'avertissement.
Voici enfin la vie de Dona Alberti elle-même, au fil des jours et des nuits. Ces nuits qui la hantent et qu'elle combat durant ses insomnies. Ces nuits qui sont la métaphore d'un mot qui n'est jamais prononcé, la mort. Ces nuits peuplées de questions, simples ou métaphysiques, de Bakou à l'univers.
Mais, si elle a parfois du mal à trouver ses mots, elle se bat. Elle va chercher à profiter de chaque instant, d'un (trop) bref coup de fil de sa fille exilée à des milliers de kilomètres, de la visite d'un jeune homme chargé de lui faire la lecture.
Désormais pour elle tous les menus détails de l'existence sont importants. L'invasion des fourmis dans l'établissement puis leur éradication devient une épopée, tout comme ce confinement imposé presque en catimini et qui – malgré les dégâts qu'il cause – va resserrer les liens entre le personnel et les pensionnaires. N'est-ce pas là l'essentiel?
C'est à la demande de sa mère, et en s'inspirant de sa vie, que Lidia Jorge a écrit ce livre. Ce qui donne encore davantage de sel aux réflexions de Dona Alberti sur cette fille qui la délaisse et ne prend plus le temps d'écouter sa mère, sur cette romancière qui n'arrive pas à bien finir ses livres, sur ce pessimisme qui semble l'habiter.
À l'inverse, on peut lire entre les lignes le respect de la fille pour cette mère qui se bat, la culpabilité face à ses absences trop répétées, l'admiration pour les paroles qu'elle découvre, la poésie qui émane des enregistrements ponctués de courts poèmes. Alors le roman devient un hymne à l'écriture, à ces mots que l'on ne veut ou ne peut pas dire et qui trouvent ici toute leur puissance, parce qu'ultimes. Une manière aussi de transcender la mort, de «faire l'amour avec l'univers».
NB. Tout d'abord, un grand merci pour m'avoir lu jusqu'ici! Sur mon blog vous pourrez, outre cette chronique, découvrir les premières pages du livre. Vous découvrirez aussi mon «Grand Guide de la rentrée littéraire 2024». Enfin, en vous y abonnant, vous serez informé de la parution de toutes mes chroniques.


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