AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Henri-l-oiseleur


Pour commencer, Pierre Jourde n'a pas écrit un roman, comme plusieurs chroniqueurs le prétendent ici. Pour qu'il y ait roman, il faut qu'il y ait fiction, et il me semble (jusqu'à preuve du contraire) que l'auteur n'a rien inventé. Il se présente comme témoin et narrateur de quelque chose qui lui est arrivé : voir les documents à la fin du volume.

Cependant, Pierre Jourde a coulé dans une forme narrative travaillée ce témoignage sur la lente mort de son fils. Cela peut expliquer l'erreur de certains lecteurs qui, trompés par la forme, y voient un roman. Ce qui les trompe aussi, c'est que l'auteur mobilise les ressources littéraires du roman pour construire la vérité, et pour décrire ses réactions et celles de son entourage. Ce travail d'écriture, qui consiste à traiter la vie comme de la fiction, est au coeur de l'entreprise autobiographique, par laquelle on place des douleurs trop réelles à distance, en faisant d'elles un récit. C'est ainsi, par exemple, que Hugo procède dans les poèmes sur la mort de sa fille Léopoldine : des années après le vrai et affreux chagrin, il en fait de la poésie et il l'antidate pour qu'elle "colle", fictivement, aux faits réels. Cela s'appelle "l'effet de réel", l'illusion littéraire.

Paradoxalement, ce travail qui appartient au processus de résignation du deuil, produit un livre puissant qui émeut le lecteur et lui transmet l'écho affaibli des douleurs du père. Heureusement, elles sont atténuées, car autrement, si nous étions aussi violemment émus qu'il l'a été, nous serions absolument incapables de lire.

Mais pourquoi lire ce livre ? C'est la question que le libraire m'a posée quand j'ai acheté "Winter is coming". le voyeurisme a sûrement sa place : la passion inavouable du voyeur, quand elle se traduit par la lecture, vient d'une curiosité insatiable (un peu prédatrice) pour l'humain. Lire, c'est ne pas se contenter des limites de sa propre vie et désirer d'en vivre d'autres, beaucoup d'autres. Parallèlement à cette quête d'émotions fortes, propre au lecteur voyeur-sentimental, une certaine dureté de coeur est aussi nécessaire : sans elle, on ne serait pas capable de porter un jugement esthétique sur le livre, d'apprécier le style et la vision du monde qu'il véhicule. "Winter is coming" m'a fortement ému, et agacé aussi, car l'émotion m'a empêché de regarder le style, la langue, et m'a obligé à les subir sans recul (un peu comme "Le dernier des Justes" de Schwarzbart, écrit détestablement mais fascinant de bout en bout à cause du sentiment). Ce livre est trop fort, trop juste et trop dur pour que je le relise avec détachement, dans une optique plus littéraire.
Commenter  J’apprécie          24-1



Ont apprécié cette critique (21)voir plus




{* *}