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Critique de SophieChalandre


"Il me semble qu'une des grandes exigences de la poésie actuelle est de la ressentir comme la dimension ultime du langage…" déclare Juarroz.
Pour comprendre la " VERTICALITÉ " qui estampille les titres des recueils de Roberto Juarroz, comme une seule et même oeuvre, il faut s'extirper de la gangue du ressenti et de la littéralité : être un lecteur de pages proposent toujours d'aller lire ailleurs d'autres pages pour éclairer la substance des premières, c'est-à-dire ne pas être soumis à la consommation superficielle de l'immédiate lecture. Et c'est dans les textes de la célèbre revue argentine Poesía=Poesía que Juarroz a dirigée de 1958 à 1965, comme poète, mais surtout philosophe et essayiste, que se trouve cette lumière sur sa "VERTICALITÉ " : sa poésie "verticale" est une brillante tension gnoséologique, redoutablement intelligente, un projet esthétique ontologique, unificateur et libérateur, qui joue avec les paradoxes pour interpeller les complexités philosophiques de la réalité humaine.

VERTICALITÉ de l'expérience du mystère de la création comme un élan transcendantal car l'extraordinaire vitalité philosophique de son oeuvre s'écrit dans le non-dit le plus intime du langage. Une poésie comme métaphore vivante de la création née dans le silence matriciel de la page blanche : Juarroz est en quête de la parole et de sa résonance, de ses mystères métaphoriques, de la secrète harmonie musicale de chaque symbole, sur la page comme dans la voix. le poète réside dans le mot, et c'est dans ce mot qu'il tente d'imprimer son élan créatif vertical, quittant la poésie pour donner à cet élan sa force métaphysique et méditative... Et c'est de nouveau de la poésie.
VERTICALITÉ du dépassement des apparences, tel un miroir ascendant cheminant indéfiniment, "le mystère est de ce côté du miroir" dit Roberto Juarroz. Dans les multiples possibilités labyrinthiques de dire et de se dire, sa poésie est à la fois chemin et pierres de ce chemin comme autant de fissures provoquées dans le réel pour nous permettre de discerner autrement, philosophiquement. "Traverser, briser, dépasser la dimension aplatie, stéréotypée, conventionnelle" continue Juarroz, car le poète n'a d'autre alternative que "d'inventer d'autres mondes qui disent le réel" selon lui, puisque la poésie crée la réalité, non la fiction. Convaincu que la poésie est la plus grande réalité possible, c'est elle qui peut véritablement rendre compte du monde.
VERTICALITÉ de l'écriture poétique comme ultime point d'altitude, "une méditation transcendantale du langage" ajoute le poète. Et depuis cette hauteur, le poème contemple la tension de nos douleurs, de nos angoisses, le poids de nos destins pour nous offrir un autre regard comme une suprême consolation et une raison de ne pas désespérer. le poète se fait alors penseur, mystique et visionnaire comme passage obligé de l'expérience poétique. Cure intellectuelle d'altitude et de verticalité pour conjurer la chute et la dissolution de l'être humain.

VERTICALITÉ du temps poétique car le poème naît et vit dans une temporalité d'une autre dimension, à l'instar de Gastón Bachelard pour qui le temps de la poésie est vertical. Véritable théorie de la connaissance, la poésie métaphysique de Juarroz débusque le temps du divin et celui de l'humain au-delà de l'énigme des mots. Vertical est son enseignement, verticale est la recherche du poète. Angoisse ontologique verticale et regard vertical sur une réalité tragique qui ne cesse de s'écouler.
VERTICALITÉ, enfin, de l'incomplétude comme poste d'observation au sommet des brisures humaines. Dévoiler ce que nous cachons dans nos mots incomplets et diffractés, nous si incomplets et diffractés, pour réunifier l'humain et ses mille morceaux dans des poèmes dépourvus du "je" lyrique, et mieux nous réfugier dans une poésie en quête de l'être ontologique : "J'aime plus que jamais la poésie comme une création extrême de l'homme" ajoute le poète.
Volontairement incomplète, la poésie de Roberto Juarroz affronte cette réalité tragique en la dévoilant : le poème s'écrit dans le temps simultané du mot et s'y efface, mais dans un fécond et éternel recommencement.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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