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Critique de viou1108_aka_voyagesaufildespages


Après "La promesse de l'aube" et "Les noces barbares", voici une troisième variante sur le thème des relations mère-fils. Dans ce récit autobiographique, Charles Juliet, le fils, a voulu rendre hommage non pas à sa, mais à ses mères, puisqu'il y évoque celle qui l'a mis au monde et celle qui l'a élevé.
Dans la première partie, il s'adresse à Hortense, sa mère biologique, et retrace, à la 2ème personne du singulier, sa vie à elle, l'enfant douée qui adorait l'école mais qu'on a empêchée de continuer au-delà des primaires. Parce que quand on naît fille dans une famille paysanne au début du siècle passé, on apprend très tôt à se sacrifier à sa famille pour s'occuper des plus petits et du ménage du matin au soir. Perdre son temps à l'école n'a aucun sens dans ces vies-là. le dernier jour de classe d'Hortense est le premier d'une longue descente dans les abîmes du désespoir. Entre frustration et mélancolie contenues, le vide existentiel (qu'elle tente en vain de combler par l'écriture) est encore exacerbé par un amour brisé, un mariage décevant et quatre grossesses trop rapprochées. Après la naissance de l'auteur, son dernier-né, elle est internée en hôpital psychiatrique et y mourra huit ans plus tard dans des conditions ignobles.
Dans la deuxième partie, l'auteur continue à la 2ème personne mais il s'adresse cette fois à lui-même, évoquant sa propre vie, de son placement, bébé, en famille d'accueil, à sa vie d'adulte. Il raconte le dévouement de sa mère adoptive, paysanne et mère de famille nombreuse elle aussi, sa terreur d'enfant à l'idée qu'elle disparaisse, ses années d'enfant de troupe (lycée militaire), son besoin d'écrire, sa peur de ne pas y parvenir : "Ton trop grand désir de bien faire. Comparée à tes moyens, une exigence beaucoup trop haute. Tous ces textes mort-nés, parce que, avant même d'en consigner le premier mot, tu étais convaincu qu'ils seraient par trop inférieurs à ce que tu aurais voulu réaliser. […] Tu ne peux ni écrire ni renoncer à l'écriture. Une situation proprement infernale". Lui aussi s'enfonce dans la mélancolie, les tourments, le vide, mais contrairement à Hortense, il trouvera la sortie de son labyrinthe intérieur.
"Lambeaux" est un texte sur la construction d'un être, sur l'estime de soi, sur la résilience, sur la lutte contre un manque qui obsède et accable sans qu'on n'arrive à le cerner, encore moins à l'expliquer, sauf à en dire qu'il nous dévore. Oui, "nous", ce n'est pas un lapsus, parce que même si ce récit est très personnel, intimiste, introspectif, ce tourment touche à l'universel. Enfin, il me semble. En tout cas je m'y suis retrouvée, par bribes, par … lambeaux. Mais ce n'est pas le sujet.
Dans cet hommage à deux femmes réduites par le contexte et l'époque aux rôles de mères et de servantes, Charles Juliet rend compte de ce qu'il doit à chacune d'elle : la vie, et ce qu'il a réussi à en faire. Notamment ce texte magnifique, bouleversant, juste, simple, sans artifice et sans un mot de trop, qui transcrit une parole enfin libérée, et que je n'oublierai pas de sitôt.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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