AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


Seules à Berlin est une BD dans laquelle Nicolas Juncker nous invite à visiter un coin obscur de la Seconde guerre mondiale.
Berlin, avril 1945. Autant vous dire que la guerre est presque finie et dans ce « presque » il y a beaucoup de choses qui peuvent encore se passer. C'est dans cette anfractuosité du temps que le récit s'engouffre et nous révèle la rencontre improbable de deux femmes qui n'avaient pas lieu de se retrouver sur le même chemin, qui plus est elles sont ennemies, l'une est allemande, l'autre russe.
Elle s'appelle Ingrid, elle est allemande, vit à Berlin, son compagnon est engagé dans les Waffen SS quelque part dans la guerre sur un de ses multiples fronts, sans qu'elle ne sache où. Elle subit de manière passive comme tant d'autres femmes et hommes depuis plusieurs années l'enfer du régime nazi. Sans doute fut-elle proche de ce régime comme tant d'autres citoyens allemands sans pour autant être engagée dans sa vision politique. Evgeniya est russe et vient d'arriver à Berlin avec l'armée soviétique pour authentifier les restes d'Hitler dont on vient d'apprendre le décès, son suicide dans son bunker. Elle fait partie du N.K.V.D. (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures).
Le hasard va les faire se rencontrer sous le toit de la même logeuse.
Dès les premières pages de cet album graphique hors du commun, j'ai été saisi dans le dessin, dans les traits des personnages par cette ambiance crépusculaire, de fin de règne.
L'originalité de cette BD, même traitée sous l'angle de la fiction, est la rencontre de deux personnages féminins ayant réellement existé et qui nous transmis leur récit respectif des événements de cette guerre dont elles ne seront jamais plus tard sorties indemnes.
L'une d'elle, je vous en ai déjà parlé dans ma chronique du récit Une femme à Berlin : journal, 20 avril-22 juin 1945, de Marta Hillers. Ce récit m'avait beaucoup touché. L'autre récit que je n'ai pas lu est Carnets de l'Interprète de guerre d'Elena Rjevskaïa.
Il est probable qu'elles ne se soient jamais rencontrées alors qu'elles étaient toutes deux plongées dans un Berlin apocalyptique au même moment. Il est possible cependant que cela fut. Dans un décor proche de l'enfer, Nicolas Juncker a l'excellente idée de les réunir dans cet album magnifique, bouleversant et passionnant.
Ce sont tout d'abord deux femmes que tout oppose et qui pourtant vont devoir cohabiter durant quelques semaines en raison des aléas de la guerre. Elles ne seront jamais proches mais vont cependant tisser un lien étrange et presque invisible entre elles. J'ai aimé l'écriture et les dessins qui participent à cette rencontre, chacune d'elle écrit son journal, relate les difficiles et éprouvantes journées, ce que chacune voit, ce dont elles sont témoins ou carrément victimes. Elles disent la violence de la guerre, le viol aussi. Ingrid fut violée comme tant d'autres femmes berlinoises durant cette période s'écoulant d'avril à juin 1945. Deux millions de femmes allemandes furent violées sur cette période par les soldats soviétiques, participant en tant qu'alliés à l'effondrement du régime du IIIème Reich.
Ingrid et Evgeniya se retrouvent ainsi dans cette violence exercée à leur encontre parce qu'elles sont femmes dans une guerre faite par les hommes, c'est cela qui les rapproche brusquement...
Ingrid fut violée peut-être par plusieurs soldats russes, en général c'était comme cela que les choses se déroulaient, continue de se dérouler d'ailleurs. Les récents événements relatant le conflit entre l'Ukraine et la Russie l'attestent. J'en veux pour preuve notamment les massacres de civils qui furent perpétrés dans la ville ukrainienne de Boutcha entre les 27 février et 31 mars 2022. C'est une pratique historique de l'Armée rouge, cela fut, cela le sera, fait partie d'une systématisation de masse qui dépasse la notion d'exaction. Non seulement les autorités russes ferment les yeux sur ces faits, les couvrent, mais les encouragent aussi. Il faut punir l'ennemi de toutes les manières possibles. Cela fut toujours ainsi. C'est une sorte de manière de servir dans son ensemble la grande cause patriotique qui anime le fameux dessein russe, depuis Alexandre 1er jusqu'à Vladimir Poutine en passant par Joseph Staline.
Dans ce chaos au bord de l'abîme, chacune écrit son journal, tente de survivre à travers les mots pour dire l'horreur, le désarroi, leurs émotions souterraines. Ces deux voix féminines sont extrêmement touchantes, rendues vraies par la sensibilité du texte et du dessin de Nicolas Juncker. Elles seront éternelles.
Commenter  J’apprécie          4410



Ont apprécié cette critique (44)voir plus




{* *}