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Citations sur Jours d'exil (20)

le 13 novembre 2015, trois commandos de la guerre djihadiste tuèrent cent trente fois et firent plus de quatre cents blessés dans les rues de Paris. On comprit très vite que cette fois, état d'urgence obligeant, il n'y aurait pas de grande marche contre la barbarie comme après les attentats de janvier. Et on sut très vite aussi que cette nuit sanglante modifierait en profondeur le regard porté sur les réfugiés. Ce que la photo d'un petit garçon noyé avait suscité d'élan en leur faveur fut en partie détruit par deux faux passeports syriens appartenant aux terroristes, laissant supposer qu'ils s'étaient faufilés dans le flot de réfugiés pour entrer en Europe. Dans les semaines qui suivirent, les migrants récemment arrivés, qui avaient commencé à reformer des campements sauvages place de la République ou à Barbès, devinrent presque invisibles. Nous avons continué, Félix et moi, à héberger de temps à autre un ou deux jeunes isolés. Puis Louise est rentrée avec un nouveau fiancé, et s'est réinstallée avec lui dans sa chambre.
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J'essaie un vieux truc qui marche souvent dans les situations déprimantes, quand les gens deviennent vraiment trop laids pour qu'il soit possible de continuer à les voir : je les imagine enfants, avant cette grimace qui leur façonne un masque affreux, avant la blessure au couteau qui les condamne au rire à perpétuité et là aussi ça fonctionne-
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Les vrais gens déters
Et puis cette fascination pour le malheur des autres, ça me fait vomir. Parce que les autres c'est toi, comme te l'a appris Jésus. Un toi qui n'a pas eu de chance alors que toi t'en as, de la chance.
Je regarde Ray, ses bottines de cuir fauve calées sur la table basse à côté des restes, de la théière en forme de pivoine. Je me repais l'œil de la laine beige très souple de son pantalon, du bleu de Chine délavé de sa veste archi-rapiécée.
Le vrai truc c'est que ça les fait jouir, les volunteers. Le malheur des exilés, quoi de mieux pour sentir son cœur saigner d'amour et de pitié? Je l'écoute. Elle a raison. Moi aussi j'ai du mal à les supporter, les compassionnels, les charitables.
Juste, dis-je. On ne prend pas les réfugiés pour des irresponsables. Du coup on leur demande aussi s'ils sont d'accord avec certaines choses, non? Une femme égale un homme. On a le droit de croire à ce qu'on veut, ou à rien du tout.
Attention piège, clignotent les yeux de Ray. Elle se hérisse. Est-ce qu'on nous la demande, à nous, cette profession de foi ? Elle s'énerve, mais je sens qu'elle est comme moi, elle est comme tout le monde, elle tâtonne. De temps en temps elle agite un vieux drapeau noir, de manière aléatoire, ou un vieux fanal rouge qui n'éclaire plus rien.
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Par moments j'ai le vertige en songeant que nous avons vraiment basculé dans une ère de tourments, que Jim a raison de voir dans l'islam le cancer qui risque de tous nous dévorer. Par moments, à Jean-Quarré, j'ai une overdose de misère et de laideur et en en repartant, vers midi, je fais ce que ses habitants ne peuvent pas faire: je prends mon vélo, je vais me balader dans les beaux quartiers du centre où le seul spectacle de façades vieilles de trois siècles est un puissant remède qui se diffuse dans tout mon corps. Je vais au cinéma, j'achète un gâteau, des chaussures. Un livre.
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Plus tard, frissonnant sous le pâle soleil, pianotais quelques notes sur mon téléphone quand un jeune homme coiffé de courtes dreadlocks est venu s'asseoir à côté de moi. Il s'est pesamment appuyé au dossier du banc rouge, bras croisés sur la poitrine, mains serrées sous les aisselles. Je le connaissais de vue sans plus - d'ailleurs il ne me semblait pas l'avoir jamais aperçu au petit déjeuner. Il faisait une tête si lugubre qu'au bout d'un moment je me suis décidée à lui parler.
Are you OK? demandai-je.
Ça va. J'attends des mecs pour les aider à remplir leur dossier Ofpra.
À peine une trace d'accent dans sa voix réservée, relevant certains mots - mecs, Ofpra.
Au temps pour moi, souris-je. Je vous avais pris pour un réfugié.
Oh mais je suis un réfugié, me rétorque-t-il avec un soupçon d'ironie.
Devant nous passait dans sa poussette un bébé majestueux, à triple menton et front gigantesque, qui contemplait avec un tel dédain le spectacle de la cour que nous nous mettons à rire au même instant. Ayant ainsi fait connaissance, nous échangeons quelques pronostics sur la date de l'évacuation, ardemment souhaitée par tous maintenant, à part peut-être quelques illuminés parlant encore de s'y opposer, mais dans des termes si vagues qu'ils ne paraissent pas y croire eux-mêmes et quand on leur demande comment ils comptent s'y prendre pour résister, ils vous regardent d'un œil hostile sans répondre. Puis le jeune homme m'explique qu'il est à Paris depuis deux ans et demi. Étudiant en informatique à Khartoum, arrêté pour cyberactivisme et accusé d'apostasie, il avait réussi à s'enfuir avant le procès. Depuis qu'il est à Paris, il suit des cours de philosophie à la Sorbonne.
Du coin de l'œil je regarde son visage sombre tourné vers le préau, la bouche aux commissures tombantes. De la poche de son blouson dépasse Une saison en enfer.
Je commence à comprendre comment c'est, la France, dit-il. Parfois j'arrive même à comprendre les blagues, on dit que c'est un signe - mais franchement je m'habitue pas. Un ballon gifle ses tibias, provenant d'un petit groupe de footballeurs.
Je ne suis pas courageux, ajoute-t-il en le réexpédiant machinalement. J'ai peur de la prison. J'ai peur des coups. Quand le bateau a chaviré, j'ai cru que je mourais de peur. Et maintenant ce sera encore plus dur.
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Stupidement, alors que l'après-midi était si douce, et si paisible la respiration légèrement chuintante de Félix, j'ai lâché mon journal pour m'interroger à voix haute sur le mystère Angela Merkel, cette femme de droite, fille de pasteur élevée en RDA, qui depuis plus d'un mois maintenant mène une politique d'accueil des réfugiés dont se montre incapable l'actuel gouvernement, socialiste, du pays de la Déclaration universelle des droits humains.
Il n'y a pas de mystère Merkel, m'a rétorqué Félix sans ouvrir les yeux. Je ne nie pas qu'elle agisse par souci d'humanité, mais enfin reconnaissons que ses préoccupations morales sont parfaitement synchrones avec la pénurie de main-d'œuvre bon marché en Allemagne.
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[...] il me parle de ces conducteurs de la RATP qui refusent de prendre le volant d'un bus parce qu'une femme les a précédés. Ou de serrer la main d'une femme. On ne les sanctionne pas, on les déplace sur une autre ligne où il n'y a pas de conductrices. Et les syndicats préfèrent regarder ailleurs, dit-il. Pour ne pas perdre d'électeurs.
Je ne le crois pas. Ce n'est pas possible que ça se passe vraiment comme ça. Tu exagères, lui dis-je, une fois de plus. Quelque chose en moi résiste à admettre, non que des conducteurs se comportent de la sorte, mais que des syndicats soient capables d'un tel opportunisme. C'est mon côté fleur bleue.
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S'il y a quelque chose de bon dans le fait de devenir vieux, c'est qu'on n'a plus à prouver ni à se conformer à quoi que ce soit. À mesure que le temps se rétrécit, le champ des possibles s'élargit. On peut se permettre de questionner des situations qui paraissaient immuables, de tenter des choses dont on ne sait rien à l'avance, serait-ce portnawak.
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Je n'arrive pas à renoncer au balai. Je me demande pourquoi je ne peux pas être comme Félix. Accepter ce qui est. Félix sait que la laideur triomphe toujours, que la bêtise roule sa caisse sur les avenues du monde entier, que La cruauté gagne tous les concours avec des facilités de surdouée. Tout ce qu'on peut faire, dit Félix, c'est essayer d'améliorer un peu les choses. Lentement, modestement. La marge est étroite. S'indigner, se révolter, c'est vertueux mais infantile. Ça ne mène à rien d'autre qu'aux dictatures, en fin de compte.
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Je sais, répliqua Hélène, dont le visage avait encore pâli. Je lui ai dit que ce serait plus facile pour lui en province, mais il veut rester à Paris.
Tu lui as dit, mon ail, la rudoya Marcia. T'es rien qu'une de ces putains de bourges que ça fait jouir de jouer à l'assistante sociale. Vous, les gestionnaires, vous êtes tellement cons que vous sabotez le boulot des vrais gens déters. Et résultat, les réfugiés voient même plus la différence entre un putain de collabo de soutien et les putains d'autorités.
Ce jour-là, malgré la brutalité de son langage, j'avais trouvé ce que disait l'impitoyable Marcia sur les users plutôt sensé. Il m'était arrivé d'entendre une étudiante de Sciences po, qui n'avait pourtant pas l'air d'une oie blanche, dire de jeunes réfugiés qu'elle cornaquait. Ils sont tellement chou d'une voix si exténuée de tendresse qu'elle me faisait frémir. De lire sur internet les commentaires extasiés d'un soutien découvrant le poulet maffé dans un foyer pour travailleurs africains, commentaires qui auraient pu être publiés par n'importe quel nigaud en voyage organisé au Sénégal. Ou des échanges dithyrambiques après une mission nettoyage éprouvante dans les sous-sols du lycée, inondés par la fuite des toilettes du rez-de-chaussée - Bravo les gens! Vous êtes superbes!», « Vous êtes beaux ! », « Je suis fière d'appartenir à une humanité où vous êtes ! », etc. -, congratulations dont l'emphase naïve m'avait fait ricaner.
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