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Critique de Nastasia-B


La Danseuse D'Izu est en fait un recueil de cinq nouvelles très intelligemment constitué et portant le titre de l'une d'entre-elles. Bien que les nouvelles aient été écrites à des époques différentes et dans des conditions extérieures fort dissemblables, le recueil, par sa structure ordonnée et progressive, dit plus que la somme de chacune des nouvelles qui le constitue, comme un message surajouté au signifié propre de chaque histoire.

Dans ce recueil, on passe du Japon traditionnel, pas forcément le Japon heureux, mais celui dont le souvenir est heureux, au traumatisme, notamment exercé par la seconde guerre mondiale mais que Yasunari Kawabata (ou l'inverse si l'on veut faire plus japonais) n'évoque jamais vraiment telle quelle, puis au constat du désastre et enfin à la reconstruction dans un Japon muté, si proche dans le temps de l'autre, mais si lointain dans les moeurs et dans l'esprit, de celui qui s'est éteint avec la capitulation.

C'est cette dimension-là que procure le recueil et qui ne transparaît pas comme telle dans l'une ou l'autre nouvelle lue séparément.

1) LA DANSEUSE D'IZU
Première nouvelle du recueil, nouvelle-titre, dont une sensualité phénoménale se dégage. Comme souvent sous la plume de Kawabata, les gestes les plus simples, les rencontres les plus anodines prennent un tour d'attraction physique indéfinissable. Mais comme toujours également chez lui, le mot qui vient immédiatement à l'esprit pour caractériser son oeuvre est le mot pudeur.

On ne parle que d'amour, que d'attirance, et pourtant c'est toujours incroyablement élégant, toujours très suggéré, très feutré, très raffiné.
La Danseuse D'Izu, c'est l'histoire d'une rencontre, brève, quelques jours, entre un lycéen en villégiature et une troupe de forains.

Les forains, qui semblent jouir d'un statut social et d'une considération des plus détestables à l'échelle du Japon d'alors, paraissent néanmoins très bien vivre leur condition. Ils sont originaires d'Izu et regagnent leur port d'attache en cheminant de ville en ville en proposant leurs services.

La plus jeune de la troupe, la danseuse est remarquablement belle et notre étudiant l'a remarquée. Pourra-t-il cheminer auprès de cette troupe itinérante ? Approchera-t-il cette inaccessible danseuse ? Qu'adviendra-t-il quand leurs chemins devront se séparer ?
Ça, ce sera à vous de le découvrir, si vous en avez l'envie.

2) ÉLÉGIE.
Dans Élégie, l'auteur visite le thème de la réincarnation sous un angle quasi métaphysique ou, à tout le moins, situé quelque part à mi-chemin entre poétique mystique et raisonnement logique étayé sur des observations.

Il s'agit d'une manière de confession d'une femme qui a été et demeure follement amoureuse d'un homme pour lequel elle a été fiancée, peut-être mariée (l'histoire n'est pas très claire à ce sujet) puis délaissée au bénéfice d'une autre avant que celui-ci ne décède accidentellement. C'est donc dans des fleurs de pruniers ou autres représentants déposés çà et là sur l'échelle de l'évolution qu'elle recherche les vestiges de l'homme qu'elle a aimé.

Il y a évidemment et poésie et nostalgie enfouies en ces quelques pages, d'où ce titre évocateur, mais c'est aussi une vision extraordinairement moderne sur la dissémination de la matière après la mort des êtres vivants.

3) BESTIAIRE.
C'est une étonnante nouvelle où il est question d'un homme, jamais plus nommé que « il », et qui, faute de savoir vivre avec les hommes en général, et les femmes, en particulier, se réfugie dans toutes sortes d'élevages à la maison, notamment de petits oiseaux chanteurs.
Tâche délicate s'il en est, voire véritable gageure tellement certaines de ses petites espèces sont délicates.

Pourtant la pensée d'une femme le hante. Une danseuse qu'il a aimée autrefois, qui était belle et distinguée, qui est devenue vulgaire et aguichante. (Tiens ! ne serait-ce une allégorie du Japon, par hasard ? Il y a quelque chose là-dessous ou je ne m'y connaît plus en message codé Kawabatesques.)

L'amour pourrait-il renaître ? Pourquoi IL s'évertue-t-il à n'élever que de petites espèces locales peu colorée plutôt que ces traditionnels oiseaux à la beauté spectaculaire ? C'est ce que je vous laisse découvrir dans ce texte tout en suggestion.

4) RETROUVAILLES.
Voilà un texte fort, symbolique et poétique, sur le Japon meurtri, défiguré, occupé, de l'immédiat après-guerre. Parmi les ruines, des hommes essaient de continuer à vivre, avec les bribes de la vie d'avant qui leur reste ou même plus rien du tout pour bon nombre d'entre-eux.

Yûzô fait partie de ceux-là lorsque, par hasard, il rencontre Fujiko, celle qui fut sa maîtresse avant la guerre. Seule et abandonnée de toutes parts, elle a encore plus difficilement vécu la période.

Mais tout à coup, pour l'un comme pour l'autre, c'est tout un monde oublié qui ressurgit de leurs mémoires, l'histoire d'un temps où ils étaient fiers et nobles dans leurs coeurs, pas piteux et pitoyables comme aujourd'hui, à l'image du Japon dévasté. Que va produire cette retrouvaille ? À vous de voir.

5) LA LUNE DANS L'EAU.
Enfin, cette dernière nouvelle évoque avec tact et subtilité tout un monde contenu dans un miroir. le monde que reflète le miroir est-il différent ? meilleur ? ou moins bon que le véritable ? Peut-on voir la vie avec un oeil dans le rétroviseur ? Qu'est-ce que tout cela signifie ?

Certes, je ne suis pas une inconditionnelle de Kawabata, mais il est indéniable qu'à chaque fois, il sait créer des ambiances, un peu à la « In The Mood For Love » qui sont du plus bel effet et très dépaysantes dans le paysage littéraire. de temps en temps, donc, j'aime beaucoup m'y plonger, comme dans un bain furtif au milieu d'une pièce inconnue où brûle l'encens près de la baignoire nacrée et où filtre une lumière irréelle sur une fleur d'orchidée. Cela me met, l'espace d'un instant, du coton plein la tête, mais ce n'est là bien sûr qu'un ressenti éminemment personnel, une éphémère sensation, une frêle vibration intérieure non généralisable, autant dire, pas grand-chose.
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