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Critique de Osmanthe


De Kawakami Hiromi, j'ai depuis longtemps en attente de lecture son roman-phare, Les années douces, ainsi que le vent qui va, le vent qui vient. Les éditions Picquier ont publié il y a quelques semaines un recueil de nouvelles d'elle, le premier en France, ce qui a éveillé ma curiosité et mon envie de découvrir cette auteure japonaise reconnue au Japon.
Ce livre de 170 pages écrit en assez gros caractères comportant pas moins de 16 nouvelles m'a au premier abord inquiété, surtout lorsqu'un discret sous-titre indique « Petites histoires amoureuses »… Je craignais une énième publication feel-good. Mais dès les premiers textes, j'ai compris que le plaisir de lecture serait bien là.

Ces textes sont des instantanés de vie qui visitent les plis et replis de l'amour sous toutes les coutures. La narratrice est toujours une femme, âgée disons de 20 à 30 ans, presque toujours célibataire, qui va ressentir le sentiment amoureux, peut-être passer à côté, sans pour autant verser une larme. C'est là toute la force de l'âme japonaise. Qu'une déception arrive ou simplement qu'une vague nostalgie commence à poindre, la conscience de l'impermanence des choses et de l'inexorable fuite du temps vient apaiser. Les choses sont comme cela, voilà tout, il faut les accepter dans la sérénité, nous n'y pouvons rien.

Il est ici question d'amour avec écart d'âge important dans le couple, de poly-amour, d'amour par-delà la mort, d'amour de jeunesse, d'amour pour un réfugié, pour un homme pas libre, pour son fils homosexuel, pour sa grand-mère. C'est l'amour sans engagement, sans attache, l'amour nomade qu'on découvre au coin de la rue, sans calcul et sans bagages, celui qui n'a besoin de s'encombrer de rien, pas même du souvenir des traits de l'être aimé, qu'on a à peine connu, et qu'on ne reverra jamais. Même le souvenir s'estompe dans une brume cotonneuse, sans tristesse. Demeure parfois un objet, une clé, un stylo, comme ultime mémo.
Enfin parfois, si, les larmes coulent à flots ! Les réactions sont un peu puériles, comme dans ce récit où notre narratrice, Kanade, est une capricieuse « adulescente ». Elle a perdu son copain parce qu'elle a été infidèle, mais les hommes sont faibles et sont comme des pantins, aux dires de Monsieur Kurahashi, ce vieux pâtissier qui ramasse tous les jours avec ses pinces les mégots du parc où elle a ses habitudes et vient lui causer franc, ce qu'elle aime bien. le vieux bougre qui supporte sa femme et lâche qu'il aimerait mieux avoir un chien lui souhaite pourtant le retour de son copain Ryôsuke et de se marier (« Les pinces »). Car c'est la grande affaire, l'amour, le couple, ce couple idéal introuvable, quand il est si difficile de se fixer, et de parvenir à une compréhension mutuelle avec l'autre sexe. Et puis un jour, sans qu'on comprenne vraiment pourquoi, vous avez la bride, et cela dure sans même s'en rendre compte…
Le style de Kawakami est simple, sobre, assez minimaliste, fait de phrases souvent courtes, de dialogues légers et anodins, du moins en apparence.

L'atmosphère est à la tendre rudesse, à une forme d'autodérision et d'humour subtils aussi. Indépendance, sentiment de ne pas pouvoir faire confiance aux hommes, regard des proches qui cherchent toujours à vous marier jeune, approche malaisée de la sexualité, l'auteure porte un regard mi-amusé mi-critique sur la société japonaise.

Au terme de ces courts textes bien ancrés dans le quotidien, qui relatent les petits riens de la vie, on se dit qu'il n'y a pas besoin de s'inquiéter pour si peu, tout cela n'est pas bien important ni grave, demain est un autre jour, et nous sommes si peu de choses dans l'univers…

L'adresse de Kawakami est d'utiliser systématiquement le même profil de narratrice (peut-être un double d'elle-même plus jeune ?) pour jouer toutes ces saynètes. Son habileté, c'est de tisser un joli fil continu de récits en récits, qui pourrait presque former une trame de roman autour de l'héroïne : elle aimerait bien tomber amoureuse, mais rencontre toujours un grain de sable qui enraye le projet ou la relation. En fait d'Amour grande cause, elle ne vit que des amourettes ! Et, surprise, le dernier texte enchaîne réellement avec le précédent, qu'il vient éclairer du point de vue de l'autre personnage féminin, dont les sentiments pour son amie sont ambivalents, amitié certes, mais aussi jalouse de sa réussite sentimentale alors qu'elle ne cherchait rien.

L'ensemble est frais, léger, on se surprend à enchaîner les récits sans avoir envie de s'arrêter, sans lassitude devant ces variations sur les joies et déboires du sentiment amoureux. Sans constituer un bijou absolu, ce recueil est pour moi une agréable surprise.
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