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Critique de ODP31


Certains personnages réussissent à échapper à leur créateur et enrichissent notre langage.
C'est le cas de Tyll l'Ulespiègle, bouffon légendaire de la littérature populaire allemande qui a surement eu vent du secret de Polichinelle pour s'immiscer ainsi par arlequinade dans nos dictionnaires. Nous lui devons l'espièglerie, cette vertu coquine qui prend racine dans son nom et amidonne les feuilles de nos auteurs les plus savoureux.
De multiples auteurs se sont emparés du mythe de ce saltimbanque facétieux créé au début du 16ème siècle. Richard Strauss en fit un poème symphonique, Gérard Philippe l'incarna dans un film en 1956.
Comme tous les héros légendaires, les auteurs n'hésitent pas à le transporter dans différentes époques. C'est ce que fait ici Daniel Kehlmann, auteur dont je ne peux que recommander la lecture des « Arpenteurs du monde ».
Il téléporte Tyll et ses lecteurs au coeur de la terrible guerre de trente ans (1618-1648).
A la barbarie et au chaos, Tyll oppose ses blagues et son insolence. Il se moque des pauvres comme des puissants. Pour l'aider, il ne peut compter que sur son talent, son amie d'enfance Nele et son âne Origène auquel il fait souvent don de sa voix. L'ancêtre braiement de Tatayet.
Ventriloque d'esprit avant les Lumières, Tyll ne se laisse pas civiliser et s'acharne à remettre en cause les croyances et idées reçues de l'époque. Il ne croit en rien, si ce n'est en sa survie. Il est le seul homme libre de l'histoire.
Au début du roman, il fait face à deux jésuites inquisiteurs et diaboliques, ivres de savoirs dévoyés, Oswald Tesimond et Athanasius Kircher, qui causent la perte de son père, brave meunier condamné pour sorcellerie. Cet épisode jette Tyll sur les routes, qui ne sont que des chemins, et paraphe son destin de saltimbanque.
Funambule dont la vie à cette époque ne tient souvent qu'à un fil, jongleur émérite, ses talents, forgés dans la douleur, lui apportent peu à peu reconnaissance et célébrité. Ils lui permettent ainsi d'approcher au plus près les rois et reines. Il sera même le témoin des négociations préalables au traité de Westphalie qui mit fin au conflit opposant le Saint-Empire romain germanique aux Etats Allemands protestants. Son statut officiel de bouffon lui autorise toutes les insolences et il secoue les piédestaux sans ménagement.
Alors que je m'attendais à un roman d'aventures burlesques collant aux sabots du personnage irrésistible de Tyll, j'ai été déboussolé par l'exigence historique du propos et la construction non linéaire de l'histoire. Tyll n'est pas toujours à l'épicentre du roman mais un acteur comme les autres du séisme qui secoue L Histoire pendant cette guerre interminable. Certaines parties du roman se concentrent sur la diplomatie particulière de l'époque et les emprises dynastiques et religieuses.
Daniel Kehlmann ne laisse donc pas à son héros le monopole de la parole. Seulement celui de la facétie. Il utilise le personnage, tout comme son insolence, comme un révélateur coloré de pH permettant de moduler le degré de folie des tragédies qu'il traverse.
Au final, un roman passionnant, même si les passages où Tyll n'occupe qu'un rôle secondaire, manquent forcément un peu de bouffonneries à mon goût et anesthésient parfois la verve du récit.
Avec un tel personnage, je ne pouvais écrire ce billet qu'un 1er avril !
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