AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Opuscules


J'ai toujours eu un penchant tout particulier pour les vies de musiciens, pour les romans mélodiques et pour les damnés des caves obscures. Jazz à l'âme, le deuxième roman de l'écrivain afro-américain William Melvin Kelley (publié en 1965), avait tout pour me plaire : en retraçant le destin d'un musicien de jazz aveugle dans l'Amérique raciste des années 30 à 50, l'auteur s'empare de grandes problématiques sociales pour livrer un texte hors du temps, étonnamment contemporain. Étonnant et sensoriel, incisif et électrique, Jazz à l'âme laisse pourtant à mon sens un amer goût d'inachevé et de frustration. Malgré ses nombreuses qualités stylistiques, on pourra regretter un questionnement de surface, qui survole de nombreuses thématiques sans réellement s'y attarder.

Abandonné à cinq ans par son père dans une institution pour déficients visuels, Ludlow Washington construit sa vie comme une succession d'accords mineurs. le jeune garçon s'émancipe des humiliations qu'il subit au sein de son pensionnat en développant un talent inné pour le jazz. Cédé à seize ans à un orchestre local du Sud des Etats-Unis, il entame une ascension vertigineuse qui le mènera jusqu'aux clubs enfumés d'Harlem, où il sera porté aux nues par l'avant garde new yorkaise en mal d'idoles. Derrière ce succès fulgurant, les fêlures de sa jeunesse dérobée, les souffrances de l'Amérique ségrégationniste et les déconvenues amoureuses ont néanmoins marqué au fer rouge le jeune prodige, qui flirte avec les ténèbres comme un funambule au-dessus de l'abîme.

Parce que Ludlow Washington est condamné à l'obscurité, William Melvin Kelley exacerbe les sens. L'écrivain déploie un talent rare pour réussir à se glisser sans accroc dans la peau de son protagoniste. Plutôt que de sombrer dans un pathos larmoyant, il préfère prendre le parti d'explorer la société américaine à travers un prisme unique et sensuel. La cécité de Ludlow permet à l'auteur de questionner frontalement les fondements du racisme, mais également d'asséner la difficulté d'exister lorsque l'on sort des carcans d'une société cloisonnée. Jazz à l'âme est le roman des premières fois, des découvertes - et donc des déceptions - sur lesquelles se construit Ludlow. C'est enfin le roman de l'exploration et de l'apprentissage amer de la vie, pour un homme en décalage perpétuel avec le monde, ses pairs, les femmes et les courants musicaux en vogue à l'époque.

Vous l'aurez compris, ma lecture de Jazz à l'âme s'est achevée en demi-teinte. Avec ce récit qui promettait de s'attaquer à des thématiques aussi graves que complexes, du handicap à la question raciale en passant par la découverte de la sexualité, les stigmates de l'enfance ou encore la difficulté des rapports hommes/femmes, William Melvin Kelley s'est engagé dans l'écriture d'un roman complexe, aux multiples tiroirs. Malheureusement, à trop vouloir en faire, l'auteur effleure ces problématiques sans les confronter de plein fouet. En revanche, si j'ai eu quelques accrochages avec le style elliptique et très délié de William Melvin Kelley, ceux-ci se sont dissipés rapidement. Au départ laborieuse, la lecture s'avère percutante et fluide, faite de silences et respirations savamment entremêlés, de pugnacité et d'audace ; enfin d'amertume et de sensualité.

Lien : https://lesopuscules.fr/avis..
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}