Citations sur Nos contrées sauvages (18)
Est-ce que la vie a été bonne pour elle ? [...] Tout le monde semble s'y résigner, se dit-elle : il faut laisser les choses arriver. La vie vous tombe dessus comme un trouble-fête, elle se fiche bien de vos projets et vous traite selon son humeur du moment.
Après, on n'a plus qu'à encaisser. Jamais personne ne demande par exemple : Êtes-vous bon pour votre vie ? Ce qui vous laisserait quand même un rôle moins passif.
Il zappe sur différentes chaînes sans enthousiasme, puis balance la télécommande sur la table basse, au milieu des autres. Il en possède désormais une belle collection : pour la télé, le lecteur DVD, de CD, le magnétoscope, la box ; il passe son temps à chercher la bonne ; il pointe l'engin en appuyant dessus avec impatience - mais pourquoi ça ne marche pas, bordel !
"Oh d'accord, dit-elle. Je ne veux pas faire la fine bouche, mais oui, je suis dingue de chocolat, mais je ne mange que du noir, bio, le plus fort possible en cacao.
- C'est vrai ? Je le saurais pour la prochaine fois, alors. Je vois de quoi tu parles. Le genre avec 80% de cacao. C'est comme si tu avalais quatre expressos d'un coup, hein? Ça donne un coup de fouet."
A vouloir sauver la situation, il s'enfonce, il le sent bien.
"En réalité, c'est bon pour la santé, répond-elle. C'est bourré d'antioxydants.
Sophie les regarde, assis tous les deux à l'avant, sidérée qu'ils puissent constituer les deux moitié de sa personne. Ses parents. Ça paraît à peine croyable. Il y a Rich, cet inconnu, monteur pour la télévision, qui connaît sûrement des tas de gens célèbres. Et il l’emmène, elle, Sophie, dans un endroit à la renommée mondiale, il la traite en adulte en présumant qu'elle est capable d'effectuer une randonnée de six jours. Et puis il y a sa mère, qui va partir en stage, se retirer pour retrouver le lien avec ses vies passées ou Dieu sait quoi encore. Rich est calme, il présente bien, porte des lunettes de soleil Oakley et écoute Korn ; sa mère a une chemise trop serrée sous les aisselles, et une voiture avec un cintre plié en guise d'antenne radio.
Tout le monde semble s'y résigner : il faut laisser les choses arriver. La vie vous tombe dessus comme un trouble-fête, elle se fiche bien de vos projets et vous traite selon son humeur du moment. Après on n'a plus qu'à encaisser. Jamais personne ne demande par exemple : êtes-vous bon pour votre vie ? Ce qui laisserait quand même un rôle moins passif.
Chaque fois que l'on va marcher dans la nature, on reçoit bien plus que l'on était venu chercher. John Muir
C'était horrible à admettre, mais à l'entendre comme ça, c'est vrai, on aurait cru sa mère. De plus en plus souvent, quand elle n'y prête pas attention, cette voix s'élève en elle, jusque dans ses inflexions geignardes.
Quel monde terrible, dévasté, pense-t-elle. Tout est en train de fondre, de sombrer, de s'abîmer, les vertes prairies se transforment en désert. Plus rien de bon ne reste intact, tout est brisé, rongé, détruit, et les ordures balancées à la figure de la génération suivante.
Des boulots sans lendemain, voilà ce que disent les gens. Et ça, Rich ne comprend pas. Au contraire, ce sont des boulots qui vous offrent un avenir. On en prend un, on empoche tout ce qu'on peut en tirer, et on repart voir ailleurs. La liberté parfaite, vous vous servez du système et pas le contraire. Ces métiers à vie - ça vous absorbe tout entier, ça vous saigne à blanc pour vous recracher tout usé en bout de course - , c'est ça les métiers sans avenir, si vous voulez son avis. On vous les vend avec un plan d’épargne retraite et quelques misérables congés payes. Au secours !
Puis Sandy se tourne vers Rich, tandis que Sophie cherche son portable au fond de son sac. Elle tend les bras vers lui pour qu'il s'approche, et Rich pense un instant avec surprise qu'elle veut le serrer contre elle, lui aussi, pour présenter un front uni devant Sophie, ou mettre de côté leur animosité. Il imite son geste, un peu stupéfait, et elle relève le menton pour être plus près de son oreille.
"Si tu touches à un seul de ses cheveux, chuchote-elle, tu le paieras, tu le paieras, je te le jure."