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Critique de berni_29


Ils sont aussi éloignés l'un de l'autre que l'ouest et l'est. Elle s'appelle Hélène, elle est Française, lui s'appelle Aliocha, il est un jeune conscrit russe appelé à son devoir militaire, muté en Sibérie.
Tangente vers l'est, c'est le récit de deux passagers parmi tant d'autres du Transsibérien qui relie Moscou à Vladivostok. Tous deux fuient quelque chose devenu insupportable et dont ce train, cette ligne de fuite, dessine une possible délivrance, déjà un rêve en partance.
Elle fuit son amant russe qui dirige un barrage en Sibérie. Lui dans ce train pour l'instant ne fuit rien puisque ce train le prive de sa liberté. C'est étrange de voir que ce train symbolise un endroit d'oppression pour l'un et un espoir de liberté pour l'autre.
Ici c'est la force du hasard, cette étincelle qui jaillit de ces deux trajectoires fulgurantes filant dans la nuit minérale. Mais qu'est-ce que le hasard sinon un rendez-vous ?
Ici c'est une écriture maîtrisée, ciselée à merveille dans un texte très concis, sa concision en fait sa force.
C'est forcément une alliance contre nature à laquelle Maylis de Kerangal nous invite et c'est là tout l'intérêt du récit, l'impossible rencontre, ou plutôt une rencontre improbable.
Les rails des trains sont rectilignes, prévisibles et irréversibles comme les injections qu'on prétend nous infliger dans nos vies, mais pour autant les rêves qui hantent les passagers d'un wagon posé sur ces rails le sont-ils ?
Conscrit, Aliocha devient déserteur. Femme oppressée par un amant toxique, Hélène devient libre à son tour. Il s'agit donc de la rencontre de deux affranchis, quelle belle rencontre sur ce voyage sidéral vers la Sibérie, vers l'extrême, puisque l'extrême est à la portée de leurs rêves.
J'ai adoré ce roman très court, son écriture très belle, la construction de deux magnifiques personnages, je me suis invité dans ce voyage au bord du Transsibérien. J'étais le passager clandestin, celui qui ne sait pas, celui qui voit, celui qui effleure, celui qui ne peut rien après, se réjouit, pleure peut-être amèrement. Celui qui aime.
Dans ce roman fulgurant, ce n'est pas le train qui traverse les paysages, mais l'inverse. L'écriture de Maylis de Kerangal rend cette féérie réalisable.
En romantique que je suis peut-être à mes dépens, j'ai forcément adoré ce court roman d'une impossible histoire d'amour et de sa possible trajectoire.
J'ai adoré aussi l'atmosphère des vieux trains soviétiques. Il m'est arrivé d'en prendre un en Ukraine, depuis Lviv vers les pentes des Carpates, héritage de l'ère soviétique, charme désuet garanti à condition de ne pas être trop pressé. À l'aller, nous avions deux heures de retard en arrivant à notre destination finale et au retour, c'était presque quatre heures... J'ai retrouvé ici l'atmosphère des trains soviétiques, lourds, poussifs, mille fois repeints sur leurs vieilles carcasses métalliques, roulant à soixante kilomètres à l'heure. Je me souviens d'une provodnitsa, l'hôtesse en charge du wagon, comme dans le récit.
Imaginez-vous que la distance entre Moscou et Vladivostok représente le quart de la circonférence terrestre ? Immense.
Ce n'est rien s'agissant de la distance qui sépare les rêves de la réalité à atteindre. Bien plus immense. Un gouffre ! En même temps, le désir partagé est capable de réduire ce gouffre, cette distance entre ces deux êtres de la taille d'une feuille de cigarette.
Ce texte nous offre la magie merveilleuse d'une huis-clos mobile, sur rail, dans la trajectoire tracée inexorablement vers la Sibérie, ou peut-être ailleurs finalement....
C'est concis, c'est beau et cela va à l'essentiel, c'est-à-dire au coeur.
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