L'affaire Codreanis

Son avocat est plutôt bedonnant et rondouillard. Il doit avoir un bon coup de fourchette, alors qu'une chose était sûre, son client n'a certainement pas fumé l'héritage de son père en restos ou commerces de bouche, ni en fringues d'ailleurs. J’ai l'impression qu'il porte les mêmes frusques que lors de notre dernier rendez-vous destiné à clôturer la succession de son père. Il est encore sapé avec un costard immonde, taillé à la Libération, une chemise blanche élimée, boutonnée jusqu'en haut et sans cravate. La classe ! Un vrai mannequin de chez Emmaüs. Il a toujours sa barbe à la Landru qui cache en partie la pâleur de son visage émacié. Landru ! C'est d'ailleurs le surnom dont l’a très vite affublé ma secrétaire. Son avocat ne peut avoir que plus de tenue, mais leur aisance feinte à tous les deux pue la filouterie à plein nez. Ils ont un point commun : un sérieux arrièré de coups de pied au cul.

La petite Mathilde a subi un sort commun à toutes les victimes dans les grandes affaires criminelles : l’oubli.

Les victimes et leurs familles avec deviennent très rapidement des empêcheurs de tourner en rond, des emmerdeurs dont il est de bon ton que le nom tombe aux oubliettes. Elles empêchent que ceux qui les ont trucidées obtiennent à la longue remises ou aménagements de peine. Le temps fait son œuvre, il est le pire ennemi de la compassion. Cette même compassion que nous leur exprimions alors se flétrit au fil du temps comme les fesses d'une quinquagénaire. Dans le même temps, l’empathie du grand public pour le condamné, coupable ou innocent, grandit avec ses premières années de placard. Le dégoût, la répulsion et l’horreur qu'il nous inspirait jadis s'amenuisent. Ceux qui participaient à la vindicte publique finissent par croire à la rédemption. Le condamné devient un sujet réinsérable. Le temps apporte la mansuétuâe aux gibiers de prison, et aux victimes, l’indifférence. L'apathie de la société devient tout aussi repoussante que le forfait. Il arrive parfois qu'après de nombreuses années, la famille de la victime fasse part à la presse de son incompréhension à l'occasion d'une permission de sortie ou d'une grâce présidentielle consentie à l'assassin de leur enfant. Quel culot, ils ne peuvent pas souffrir en silence, ces cons-là l

Il aime probablement son métier, mais le fait-il pour avoir la sensation du devoir accompli ou par ambition, cherchant à tout prix de l’avancement ? Il pense certainement que la « fin justifie les moyens » et il a d'ailleurs eu l’occasion de me le prouver. Il a été prêt à me filer un tableau de trente briques pour que son scénario, échafaudé de main de maître, tienne la route jusqu’au bout. Il aime les coups fourrés : c'est un licencié en droit, ami de la licence et ennemi de la droiture. Le Code de procédure pénale ne l’empêche pas de dormir et il s'affranchit aisément des contraintes juridiques. II préfère être sûr que Codréanis soit raccourci, plutôt que de profiter d’un chef-d'œuvre certainement mal acquis en traversant lui-même la Manche pour passer à la caisse.

- La salope ! soupiré-je en me reculant dans mon fauteuil.
- Eh oui ! Toutes des salopes sauf maman, comme on dit (...)

Mireille, cinquante-cinq ans, n'était pas trop mal balancée pour son âge.

Une femme d'environ trente-cinq ans, très grande, brune et les yeux clairs, donc ravissante, nous attend debout.
(...) il s'agit de la fameuse Alice (...) Elle va s'occuper de moi. Je pouvais difficilement mieux tomber. Je me dis "Quel engin !" (...)
Je fais un effort surhumain pour ne pas la reluquer de la tête aux pieds. Je ne veux pas passer pour un goujat en me faisant griller à faire le tour du propriétaire. (...) son visage plein de charme et son châssis qui envoûteraient n'importe quel bipède normalement constitué ne doivent pas me détourner de l'attention que je suis bien décidé à prêter à sa mise au point générale.

- Evelyne Ranou, dis-tu ? L'interrogeais-je à voix basse avec un regard lubrique.
(...)
- Je suis sûre qu'elle fait toujours partie du personnel (...). Quant au reste, je vais l'enfumer bien comme il faut. Fais moi confiance, les gonzesses, c'est mon truc, quelle que soit la catégorie.
(...)
- Bon, alors dans ce cas, il me vient une idée. J'appelle la grosse Ranou lundi, je lui dis que je passerai chercher le dossier le vendredi suivant. Ca lui laissera quatre jours de plus pour bouger son cul (...)

Cette même compassion que nous leur exprimions alors se flétrit au fil du temps comme les fesses d'une quinquagénaire.

De plus, côté femelle, Laurent sautait alors sur tout ce qui bougeait.

C'était une vieille fille. Le fait était marqué sur sa figure, et son caractère parfois épouvantable ne faisait que me conforter dans cette idée. Son frère lui-même disait "qu'elle avait besoin d'un mec".