AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Ingannmic


En une profusion de vingt-deux textes souvent très courts, Etgar Keret fait se percuter tragédies existentielles et anecdotique avec une inventivité et un humour grinçant qui dans un premier temps mettent en évidence la dimension absurde -voir complètement déjantée- de ses textes. Mais assez vite, tout en continuant de savourer son sens du burlesque et ses affinités pour l'étrange, le lecteur y décèle aussi l'expression de la mélancolie, voire de la détresse, qui hantent la plupart de ses personnages.

De nombreuses nouvelles évoquent ainsi les stratégies manipulatrices ou les procédés pathétiques que déploient les individus pour s'assurer de l'affection de leurs proches, pour susciter chez l'autre une manifestation de gratitude ou d'intérêt leur donnant, ne serait-ce que pendant un instant, l'illusion de leur propre valeur.

Parmi eux, cette mère qui profite de la déficience mentale de son fils pour le rendre complétement dépendant d'elle, ou cet homme qui demande avec une insistance pitoyable à son ami écrivain de lui écrire un texte qui lui servira d'appât pour attirer les femmes dans son lit. Et dans un monde que fait tourner l'argent, ce dernier devient le moyen de provoquer un attachement dont on préfère ignorer le caractère chimérique. Ainsi ce père divorcé qui accède à tous les désirs de son insupportable et capricieux garçon, ces riches épouses désoeuvrées qui font profiter de leur extravagante charité des quidams choisis au hasard, dans la rue, pour le simple plaisir que leur procure le spectacle de leur reconnaissance, ou cet homme qui achète les anniversaires d'inconnus afin d'être fêté plus souvent qu'à son tour…

Certains aiment comme ils consomment, telle cette jeune fille qui ne s'intéresse qu'aux puceaux, dont elle s'octroie ainsi la primeur, tandis que d'autres s'abîment ou s'oublient dans le vide qu'est devenue leur existence, victimes d'une résignation que l'auteur semble renvoyer à sa nature dérisoire, comme lorsqu'il évoque ce foyer dont les membres, au coeur de chaque nuit, ruminent les concessions faites à leurs rêves, pendant que leur poisson rouge, sorti de son bocal, regarde des dessins animés à la télévision chaussés des pantoufles du chef de maison.

Palliatif à cette déshumanisation croissante des relations humaines qu'entraîne l'expansion de l'économie de marché et qu'elle contribue paradoxalement à accentuer, la technologie, abordée sous l'angle de ses dérives, est au coeur de plusieurs textes, qui empruntent à la fois à l'anticipation et à l'allégorie. Un homme amnésique, piégé dans une pièce sans ouverture où il est censé suivre un traitement pour récupérer ses souvenirs, jouit de la compagnie d'une femme virtuelle qui s'avère finalement plus charnelle qu'il ne le pensait. de jeunes orphelins, enfermés dans un institut, y suivent l'apprentissage conçu pour chacun sur mesure, avec un but bien défini…

Si l'auteur s'attache à décrypter les maux de nos sociétés moderne -la solitude, le poids de la performance…-, il est aussi l'observateur des douleurs indissociables de la condition humaine - deuil, abandon, rupture, traumatismes individuels ou collectifs- et de la manière dont on les surmonte, ou pas. Et sous le ton cocasse, le trait est corrosif, sarcastique, et le propos finalement bien sombre. Dans le monde en perte de repères d'Etgar Keret, Dieu est mort, Trump entame son troisième mandat, et Hitler est ressuscité sous forme de clone. Mais comme semble vouloir le rappeler le titre de l'ouvrage, l'ampleur de l'agitation et de la vanité humaines, pour fascinantes qu'elles soient, n'ont sans doute d'égal que l'insignifiance de notre petite planète dans un univers dont nous ne mesurons pas l'étendue. Et ces extraterrestres qui, après avoir étudié de plus près nos comportements, préfèrent, pour se préserver de notre agressivité et notre orgueil, ne pas entamer de relation, pourraient sans doute en attester.
Lien : https://bookin-ingannmic.blo..
Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}