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Critique de HundredDreams


Avec Joseph Kessel, j'ai voyagé au coeur de l'Afrique coloniale, dans un des parcs royaux du Kenya à la rencontre de la faune et des peuples indigènes.
L'auteur écrit comme s'il peignait, avec minutie, avec un charme touchant. J'ai été saisie dès les premiers mots de l'auteur qui nous emmène avec lui dans ce monde plein de beauté, de magie et de violence. Les émotions, les sensations, les sentiments sont si merveilleusement bien décrits que le lecteur est au coeur des tensions, pénétrant l'intimité des personnages.
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Le narrateur achève son voyage en Afrique orientale par un court séjour dans la réserve d'Ambolesi, gérée par un John Bullit, ancien chasseur de renom et sa femme Sybil, dépressive et inquiète pour sa fille Patricia, petite fille solitaire, amie d'un lion.

Arrivé la veille au soir, il découvre au matin le paysage et s'émerveille à la vue de l'étendue brumeuse qui se dévoile peu à peu, laissant apparaître les animaux sauvages s'abreuvant dans la mare, et au loin, les neiges éternelles du Kilimandjaro.
En s'approchant des animaux, il rencontre Patricia, la fille de l'administrateur du parc, âgée d'une petite dizaine d'années. Malicieuse et vive, elle fascine le voyageur par sa compréhension instinctive des animaux et sa force de caractère.
« Ces bêtes ne sont à personne. Elles ne savent pas obéir. Même quand elles vous accueillent, elles restent libres. Pour jouer avec elles, vous devez connaître le vent, le soleil, les pâturages, le goût des herbes, les points d'eau. Et deviner leur humeur. Et prendre garde au temps des mariages, à la sécurité des petits. On doit se taire, s'amuser, courir, respirer avec elles. »
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Se laissant guider par cette petite fille singulière et dominatrice, le narrateur la suit dans la brousse à la rencontre des animaux dont elle a une connaissance intime. Elle partage avec lui son savoir sur les nombreuses ethnies, leur culture, leurs coutumes étranges et mystérieuses, leurs rites. On ne peut que ressentir l'admiration du narrateur pour le peuple des Masaï, tueurs de lions.
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Il va découvrir l'amitié qui la lie au plus majestueux des animaux de la savane. King, un magnifique lion, aux « larges yeux d'or », qu'elle a élevé depuis qu'elle est toute petite.
Cette petite fille, vive et intelligente, a des paroles très sensées sur la beauté du monde sauvage, monde qui mérite notre respect et notre rôle de spectateur discret et non intrusif. Mais très étonnamment, elle possède un petit singe et une jolie gazelle, elle se lie dans une relation unique et fusionnelle avec un animal sauvage pour qui elle éprouve un sentiment de possession, d'admiration et de jalousie. Elle a une emprise sur cet animal avec qui elle « joue », en totale contradiction avec sa vision de la vie animale à l'état sauvage.
Un autre point m'a aussi gêné chez cette petite fille, sa trop grande maturité à mon goût et son rôle dans la tragédie qui se joue et dont elle n'aura conscience que trop tard.
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Le narrateur, témoin du lien étonnant et unique qui lit la petite fille au grand lion, est lui conscient de la fragilité des relations, de l'orgueil des hommes, de la morgue de Patricia, trop sûre d'elle, trop manipulatrice. Il pressent un drame imminent, ne sait pas encore lequel, mais ne peut détacher son regard de ces lieux, de ce lion, de Patricia.
La tension monte au fil des pages, et tout comme le narrateur, le lecteur pressent l'inévitable, et se tend fébrilement vers un dénouement poignant et triste. A trop vouloir jouer, le lion va-t-il se retourner contre Patricia et la tuer ? Les tribus vont-elles s'entre-déchirer ? Un masaï va-t-il tenter d'abattre King pour montrer sa force et son courage à la petite fille qui n'en est plus une à ses yeux ?
J'ai refermé ce livre, abasourdie et malheureuse.
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Ce roman n'est pas un roman qui s'adresse uniquement aux adolescents. Il est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît. Au delà de l'amitié d'une fillette et d'un animal sauvage, le roman décrit la complexité des relations dans la structure familiale de l'enfant, les rapports entre l'Europe et l'Afrique, le colonialisme, l'opposition entre la civilisation et la vie sauvage, le rapport à la nature, à la mort, l'enfance.
A cela s'ajoute le cheminement initiatique de cette fillette qui joue avec les sentiments humains et la tendresse du grand félin pour elle, conduisant au drame. La fin du roman, intense et bouleversante, sera pour Patricia, un rite de passage éprouvant qui la fera passer de l'enfance à l'âge adulte.
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« le lion » est une histoire d'amitié, d'amour, tendre, belle, mais aussi dure et cruelle. La magnificence de la nature et des bêtes est mise en valeur par l'écriture de Joseph Kessel, sensuelle et poétique, ses longues phrases au style classique, peut-être pompeux diront certains, la justesse des mots.
Cette magnifique fresque a également une valeur historique, je la vois comme un témoignage intéressant sur l'Afrique colonialiste, même si on ne peut que regretter le regard européen du narrateur imprégné de racisme. Mais il ne faut pas oublier que ce grand classique a été écrit en 1958, au tout début de la décolonisation, le Kenya obtenant son indépendance qu'en 1963.
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Un très grand classique de la littérature française. Un roman d'une rare beauté, un très agréable moment de lecture, un lion inoubliable.
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Je remercie au passage LabiblidOnee pour son beau billet qui m'a donné envie de relire ce magnifique roman rangé au fin fond de ma bibliothèque.
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