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Critique de Levant


Levant
22 décembre 2020
Amis Babeliotes, il va vous falloir faire un effort d'imagination non pas surhumain, mais bien inhumain.

Imaginez avoir devant vous, allongé sur une table de massage, attendant de vous l'apaisement d'un mal qui le tourmente … le mal ab-so-lu. La haine incarnée dans un corps malingre. Celui qui fait sans sourciller couler sang et larmes, disloquer corps et esprits, broyer les chairs, transformer les êtres humains en fagots décharnés empilés pêle-mêle à la gueule des fours crématoires.

Imaginez devoir avancer les mains vers ce corps délicat à la peau blanche et lui apporter le soulagement qu'il attend de votre compétence. Car celui qui vous demande ce bienfait en votre pouvoir, c'est ni plus ni moins qu'Heinrich Himmler. L'homme le plus puissant, le plus pervers, le plus glaçant du régime nazi, après Hitler bien entendu. L'homme qui de sa petite vie minable, de son petit corps rabougri n'est capable, lorsqu'il est sanglé dans son uniforme noir frappé de la double rune SS, que d'une chose : tuer. Tuer encore et toujours. Tuer des millions de fois.

Allez-y posez les mains sur ce corps. Faîtes-lui tout le bien que vous savez faire avec le don de guérison dont vous êtes pourvu.

Oui je sais, je vous mets à rude épreuve, j'y vais un peu fort. Mais ce que je vous suggère en fiction de dégoût, c'est ce qu'a vécu Félix Kersten. Il était médecin, finlandais, initié aux techniques réparatrices des corps par maître Kô, un grand maître chinois, ayant fait de lui l'Européen doté des Mains du miracle.

Cette épreuve à laquelle je vous soumets par l'imagination est une histoire vécue. Joseph Kessel a rencontré ce magicien, il a bénéficié de ses soins. Kersten a posé ses mains sur lui, celles qu'il avait posées quelques années auparavant et durant cinq ans sur le corps du reichsführer Himmler. Je vous sens frémir de répugnance.

Mais ne le blâmez pas. Ne détestez pas ce praticien zélé. Kersten a usé de sa position privilégiée, si l'on peut dire, de l'emprise qu'il a eue sur le monstre, de la dépendance dans laquelle il a su le tenir , du fait de sa capacité à le soulager de son mal, pour sauver des centaines de milliers de personnes. Ni plus ni moins. Force nous est alors de saluer son courage à surmonter la peur et la répulsion. de saluer ce qu'on apprend au fil des pages de cet ouvrage : l'intelligence, le maîtrise psychologique, la ténacité, la patience pour supporter l'épreuve qui dura tout le temps de la guerre et parvenir à extirper des griffes de la bête immonde par la confiance dont il a su se faire rétribuer des centaines de milliers de vies humaines. Cette histoire vraie contée par Kessel dans son ouvrage Les mains du Miracle est tout simplement incroyable. Je suis surpris qu'on n'en parle pas plus chaque fois que l'histoire se penche sur cet épisode noir de l'histoire de l'humanité.

Kersten a réussi, entre autres, à empêcher la déportation de la population hollandaise, faire détourner un train de Juifs vers la Suisse plutôt que vers les camps de la mort, empêcher le dynamitage des camps à l'arrivée des alliés ainsi que l'avait ordonné Hitler, sans parler des centaines de personnes qu'il a arrachées à la machine à tuer durant toutes les années de la guerre. Tout ça à force d'habiles négociations, de détermination, de patience. Tout ça en échappant à "l'honneur" que lui proposa le reichsführer en récompense de ses soins : porter l'uniforme SS avec le grade de colonel. Tout ça en échappant surtout à la rage assassine d'un Kaltenbrünner, chef de la gestapo, qui s'était promis de l'abattre.

Formidable ouvrage de Kessel qui m'a littéralement englouti dans cette histoire hors du commun en une nuit, tellement je voulais savoir comment Kersten allait réussir à se sortir de ce nid de frelons, lui, sa femme et ses trois enfants qu'Himmler s'ingéniait à conserver sous sa main pour le cas où. Il lui clamait sa confiance certes, mais n'en était pas nazi pour autant, et quelques otages étaient toujours une garantie.

Un ouvrage écrit d'après le témoignage et le journal que s'est obligé à tenir Félix Kersten. Un document étonnant sur l'homme qui soulagé de son mal le reichsführer Himmler pour soulager l'humanité de sa frénésie de tuer.
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