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Critique de LivresGay


Samaël, jeune prof de sciences en arrêt longue maladie, va mal. Voilà quelque temps, lorsqu'il n'avait pas encore déménagé en Auvergne, il a été attiré dans un guet-apens par trois jeunes homophobes, qui l'ont attaqué au couteau, violé, puis laissé pour mort au bord d'une route. Après plusieurs opérations, il se considère maintenant comme une de ces « gueules cassées » de la Première Guerre mondiale. Il fuit les gens, il fuit les regards, vivant enfermé dans son petit appartement à Clermont-Ferrand avec son chat Manson. Il publie des petits textes sur son blog ; il dessine ; il se balade sur Twitter ; il rêve – « […] quand on empile des rêves sous le ciel, on bâtit parfois des réalités bien plus belles que celles qui étaient prévues. Des réalités à fleur de coeur. »

Un jour, il tombe sur la photo de profil de Manoé, un beau jeune prof de latin dévergondé, et sur un coup de tête, il lui envoie un message. Manoé répond, et les deux jeunes hommes s'entendent tout de suite à merveille, passant des heures à discuter, par messages directs interposés sur Twitter, jusqu'à tard dans la nuit. Là où Samaël a été séduit par les photos de Manoé, Manoé est attiré par le côté littéraire et poétique de Samaël. Leurs échanges deviennent de plus en plus profonds et de plus en plus enfiévrés. Mais les problèmes ne manquent pas. Tout d'abord, Manoé est marié ; il s'agit d'un mariage ouvert qui le laisse libre de vivre ses passions, mais tout de même. Puis, Samaël est loin d'être prêt à se montrer, fût-ce à un homme qui ne le juge pas pour son physique et avec lequel, il le sent, il a énormément d'atomes crochus. N'empêche, les sentiments qu'ils ressentent l'un pour l'autre grandissent et envahissent leur vie petit à petit, comme une évidence lumineuse.

Troisième problème, et non des moindres : il y a Ferréol, un infirmier que Samaël a rencontré lors de ses visites de contrôle à l'hôpital. Lui est une des rares personnes à voir le visage « abîmé » de Samaël. Il réussit à le séduire, et au bout d'un certain temps, Ferréol avoue enfin à Samaël qu'il est tombé éperdument amoureux de lui. Il est même question de ce qu'il aménage chez Samaël. Mais celui-ci est toujours amoureux de Manoé. Amoureux de Manoé aussi, il faudrait dire plutôt – ce qui soulève la question : peut-on être amoureux de plusieurs personnes en même temps ? En a-t-on le droit ? Est-ce que l'amour est une chose exclusive, un lien entre deux êtres seulement ? Et s'il y avait une troisième voie ? S'il valait la peine d'essayer de construire quelque chose à trois ? Comme le dit Samaël à un moment : « On tente nos propres combinaisons, on rate, on recommence, on rate encore, mieux parfois, et on se trompe vingt fois de suite… mais on se sent vivant. »

J'avoue qu'au début, je ne savais pas à quoi m'attendre. Certes, l'histoire de Samaël, ce monstre auto-proclamé, cette « gueule cassée », cet être abîmé et dans son physique et dans son âme, cet amoureux du verbe et des couleurs, m'a happé instantanément. Son passé ne se découvre qu'au fil du récit, entre flash-backs et bribes de conversations avec Manoé, ce qui rend l'intrigue d'autant plus vivante, vibrante, douloureuse aussi. Mais je ne savais pas quoi penser de ces échanges avec Manoé, une autre « gueule cassée » – pas physiquement, cette fois-ci, mais psychologiquement (son mariage ouvert est, à l'origine, le fait de son mari volage, pas le sien, et il en a beaucoup souffert). Et je ne savais pas où « caser » Ferréol dans toute cette histoire. Est-il, comme c'était mon tout premier ressenti, « le bon » pour Samaël ? Ou pas ? Sur le plan sexuel, ça semblait tout de suite fonctionner de feu de dieu entre les deux, mais quid des émotions ? Je n'arrivais pas à cerner si Samaël avait des sentiments pour lui, et le fait que les trois protagonistes laissent beaucoup parler leurs corps (au lit et en paroles) mais finalement très peu leurs sentiments (même dans les échanges intenses entre Samaël et Manoé) ne m'a pas aidé à voir plus clair d'entrée de jeu.

Là aussi, les choses s'éclaircissent petit à petit. Les trois fils entremêlés – Samaël, Manoé, Ferréol – commencent à « se tricoter », et de maille en maille, ça commence à ressembler à un joli vêtement qui leur va comme un gant, si j'ose dire. Ce qui porte ce récit est une chose que l'auteur, sans aucun doute, partage avec Samaël : l'amour des mots. Oui, ce livre est très bien écrit, toujours empreint d'une vraie poésie, d'une pondération du langage, parfois d'une certaine pudeur, parfois d'une cruelle justesse dans le choix d'un vocable, contemporain ou ancien. On sent que ce n'est pas le hasard qui a jeté ces mots sur les pages, mais un esprit amoureux des lettres et amoureux des êtres. Donc oui, si le personnage de Samaël m'a attiré dans les premiers paragraphes de ce roman, c'est la belle écriture qui m'a séduit ensuite tout autant que les trois tranches de vie correspondant aux trois protagonistes principaux.

En un mot, c'est un beau roman qui ne laissera personne indifférent, j'en suis convaincu.
Lien : http://livresgay.fr/le-choix..
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