Le jardin d'hiver

Pourtant, elle ne pouvait se départir de cette impression que Nahash, avec sa belle voix à la douceur de miel, l’avait bien plus troublée que cela n’aurait dû. Cela l’horripilait et, honnêtement, l’inquiétait un peu aussi. Elle redoutait qu’une fois en face de lui, il ne veuille abuser de la situation pour lui extorquer des conditions… inacceptables.

Sophia se surprenait parfois à rêver que son regard posséderait un jour la capacité de modifier ce qu’elle voyait à travers son objectif afin que la réalité se transforme et corresponde à ce que sa créativité lui susurrait. Elle n’était même pas certaine que cela eût le pouvoir de changer quoi que ce soit à sa carrière, cela dit. Parce que, aussi douée soit-elle, Sophia n’avait pas obtenu la plus petite reconnaissance de la qualité de son travail jusqu’ici.

Elle aurait même pu dire que sa vie tenait tout entière dans son regard. Aligner son cœur et son âme sur le même axe que son œil pour réaliser la bonne photo lui était devenu une seconde nature. Sa manière et – presque – sa raison de vivre.

Une demi-vie pendant une éternité ne fait pas une demi-éternité, seulement un enfer infini. (p 526)

- Il y a un monde entre la laideur et la beauté, la coupa t-il. Et un univers tout entier au-delà de la vision. Ce n'est pas parce que les yeux ne percent pas le voile qu'il n'existe pas. Et c'est avec nos émotions que l'on peut le percevoir, ou par nos rêves. (p 507-508)

- Nous sommes au beau milieu d'un orchestre, commença-t-il à lui expliquer d'une voix douce. Tous ces livres ont un son, celui de leur couverture qui craque lorsqu'on entame sa lecture, celui de leurs pages que l'on tourne, le bruit du papier, celui qu'il fait quand on le referme une fois l'histoire terminée, ce petit bruit mat si caractéristique. Tous le récits qu'ils contiennent sont des compositions possédant leur mélodie propre, celles de leurs mots, avec leurs temps. Comme en musique, il y a des phrases, des silences, une harmonie, des nuances, des vers. (p 374-375)

- Parce que si toutes tes lectures te permettent de t'évader, ces histoires-là se situent dans l'intemporel, argumenta la jeune femme pour justifier sa réponse, que le merveilleux n'a besoin d'aucune explication rationnelle pour y exister et que donc tout y est possible. Et puis ce genre sous-tend généralement une fin heureuse avec la punition des méchants. Je ne te connais pas encore, pas vraiment, mais je crois que tu as gardé un peu de ton âme d'enfant et que l'injustice, celle que tu subis aussi bien que celle qui règne un peu partout, te fait souffrir. Tu aimes les histoires qui finissent bien, tu aimes rêver et c'est dans ces pages-là que tu te réfugies. (p 373)

-La frontière entre la folie et la raison est la plus imperceptible qui soit. Ces deux univers se frôlent en permanence, se cherchent, ne cessent de se tenter l'un l'autre.

-Vous êtes philosophe aussi? demanda Sophia depuis les aires brumeuses qu'était devenu son esprit.

-Non. Je cherche seulement à te conduire jusqu'à cette limite, jusqu'à moi, pour que tu me laisses t'embrasser."

— Je voulais que tu entrevoies que certaines choses dépassent notre entendement, que tu aies la preuve que l’amour est une force sur laquelle le temps n’a aucune prise, qu’il est capable de surgir de nulle part pour éclore dans la réalité. Que tu réalises que je t’aime depuis plus longtemps que tu ne le penses. Je me suis senti terriblement seul s... avant toi et maintenant que tu es là, je n’ai pas l’intention de te laisser partir.
— Tu comptes me retenir prisonnière ?
— Oui, si ce sont tes sentiments qui te lient à moi plutôt que ma volonté.

— Quels genres littéraires préfères-tu ? demanda-t-il avant de retirer sa question. Non, ne réponds pas. Laisse-moi deviner.
Sam éleva son regard au-dessus de sa tête pour le faire courir sur les rayonnages.
— Les intrigues historiques, affirma-t-il très rapidement, en rebaissant les yeux sur elle. Et la romance.
Satisfaite de ne déceler ni sur son visage ni dans son ton cette trace de mépris habituellement présente dès qu’il s’agissait de romans d’amour, bien souvent souligné par des yeux se levant au ciel, Sophia lui sourit en guise d’acquiescement. Aurait-elle été témoin de cette morgue, la jeune femme n’aurait pas pour autant nié aimer ces lectures, mais cela lui évitait d’avoir à argumenter pour justifier ses goûts, chose que l’on ne devrait jamais avoir à faire, en matière de lecture ou d’autre chose. Quoi qu’il en soit, il était tombé juste. Aux yeux de la jeune femme, cela signifiait que Sam la comprenait, vraiment, qu’il n’était pas seulement tombé sous son charme et que son intérêt allait bien au-delà de sa seule apparence.