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Critique de TawfiqBelfadel


Sauver la mémoire par les lettres

Le roman est constitué de lettres. Un narrateur trouve un paquet de lettres et commence à les lire.

« Elles sont classées par année je crois. Il y a celles du Docteur qui était employé à l'époque à la compagnie universelle du canal de Suez. Et celles de Mrs Mia. En 51, elle venait d'emménager au Caire avec sa famille mais elle est née et a grandi à Alexandrie » (p.11).

D'une lettre à l'autre, des vies se construisent et d'autres s'écroulent, des pays changent, des familles se brisent, et des histoires se lèguent…

En 1951, le médecin Stéphane rencontre Mia à la plage. Un coup de foudre. Commence alors une riche correspondance entre eux. Il la demande en mariage. Chagrinée par une ancienne histoire d'amour, Mia hésite et se refugie dans un cocon à elle, passant la plupart du temps à peindre des encres de Chine. Ces peintures lui permettent de retrouver le monde et de se retrouver elle-même.

En 1956, la nationalisation du Canal bouleverse l'histoire d'Egypte et ses habitants. Des attaques ont lieu, les courriers sont espionnés, les téléphones mis sur écoute. L'Egypte n'est plus elle-même.

La troisième partie de la correspondance date de 1975. Stéphane et Mia sont mariés et ont deux enfants : Liliane et Téo. Ayant quitté l'Egypte, ils sont au Liban déchiré par la guerre civile. le couple est fusillé.

La dernière partie a lieu au Liban de 1984. Liliane vit en France, Téo, blessé par les balles, reste à Beyrouth. Ils s'écrivent comme leurs parents. Vont-ils s'exiler pour survivre ou resteront-ils au Liban des racines en cultivant l'espérance ?

Le roman peint une belle histoire d'amour dans un contexte historique (Canal, la guerre civile du Liban…). S'alternent alors les images douloureuses de l'Histoire et les belles sensations d'amour. le roman est un duel entre la tendresse et la guerre. Et cette duplicité thématique dessine d'autres thèmes comme l'exil, l'identité, l'interculturel…

« Afin de rendre possible la vie dans ce désert, Ferdinand de Lesseps a acheminé l'eau du Nil, du Caire jusqu'à l'isthme, grâce à un système de canaux et a inventé une technique sophistiquée pour la filtrer »(p.34).

L'altérité est omniprésente. Toutes les religions, identités, langues et cultures, cohabitent dans ce roman. Stéphane et Mia sont d'origine syro-libanaise, chrétiens vivant en Egypte. « C'est sans doute ma pauvreté plus que notre différence de religion, car j'imagine que vous êtes musulmane, qui est un barrage à notre union » écrit Téo à sa voisine (p.131).

Ce roman est le fruit d'une grande documentation. Les narrateurs insèrent çà et là des fragments historiques réels. Les personnages fictifs côtoient ceux de la réalité comme Ferdinand de Lesseps, Gamal Abd Nasser, Nawal el Saadawi… le roman se situe donc entre la vérité amère de l'Histoire et le doux mensonge de la fiction.

L'autobiographie est omniprésente. L'auteure insère plusieurs fragments de sa vie à l'intérieur de la fiction. La biographie de Yasmine Khlat illustre clairement ce constat.

Le choix du genre épistolaire n'est pas fortuit : l'auteure s'est inspirée de la correspondance de ses parents. Elle le révèle elle-même au début : « A la mémoire de mes parents dont la correspondance, notamment avec les uns et les autres, a été la source de mon inspiration » (p.7). L'emploi du présent de l'indicatif actualise la correspondance et attire davantage le lecteur comme si l'histoire se passait au moment présent devant ses yeux.

Egypte 51 est un roman profond par sa simple écriture. Il peint à la fois l'Egypte et le monde. Mêlant histoire et fiction, il explore la frontière entre la guerre et la vie, l'espérance et le désespoir, la tendresse et le chagrin, l'exil et la terre natale. Yasmine Khlat rend un poignant hommage à ses parents, au genre épistolaire, et à l'Egypte des années 50. C'est un beau roman qui sauve la mémoire !
Lien : http://www.lacauselitteraire..
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