AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Bienvenue (41)

Quand elle marchait dans la rue, elle gardait les yeux baissés et les lèvres serrées, d'un air à la fois modeste et résolu. On disait d'elle qu'elle était comme une fleur de lotus née dans la boue.
Commenter  J’apprécie          00
Il neigeait lorsque Jeong-man quitta l’hôpital. C’étaient les premiers
flocons, nous étions à la mi-novembre. Le taxi, ne pouvant remonter la
ruelle trop étroite, nous déposa non loin du terrain vague. La jambe de
Jeong-man, cassée de la cheville au haut de la cuisse, mettrait longtemps à
guérir. Il faudrait remplacer la ferraille régulièrement, et ce jusqu’à la fin de
sa vie. Le plus embêtant, c’était que, dans son état, il ne pouvait strictement
rien faire. Cette idée me désespérait. Même en s’appuyant sur moi et sur sa
canne, il était incapable de marcher. A l’hôpital, on nous avait prévenus
qu’il ne devait pas sortir si tôt.
— Vous voulez peut-être payer la facture à ma place ? avais-je riposté.
Jeong-man n’avait pas osé me retenir, ni même me regarder dans les
yeux. Il était resté, la tête baissée, l’air fautif. Il faut dire que je n’avais rien
fait non plus pour le déculpabiliser. Il avait commis une faute
impardonnable en se faisant renverser par un camion et en me mettant dans
une situation où j’étais contrainte de payer ses soins. A mes yeux, un chef
de famille qui non seulement ne gagnait pas un sou mais en plus coûtait
cher n’était rien de plus qu’un criminel.
A force de soutenir Jeong-man sous le bras, je me retrouvai bientôt
trempée de sueur. Je ne pouvais pourtant pas l’abandonner dans la rue.
— Putain ! On n’y arrivera jamais comme ça. Allez, viens, je vais te
porter sur mon dos.
Mais dès que je voulus me redresser, je m’écroulai à genoux sous son
poids. Il pesait plus lourd que je ne le croyais. Il neigeait de plus en plus
fort. Essayons encore, ordonnai-je. Je serrai les dents et rassemblai mes
forces pour me relever. L’effort m’arracha un gémissement. Cette fois, je ne
tombai pas, mais je fus incapable d’avancer d’un centimètre. Pourtant il le
fallait. Je respirai un grand coup. Je fis un pas, puis un deuxième. Au bout
de quelques mètres, je m’arrêtai. Jeong-man retenait sa respiration,
tremblant de tout son corps. Chancelante, je me remis en route, puis
m’interrompis de nouveau. De petites bouffées de vapeur blanche sortaient
en chapelet de ma bouche. Je n’entendais que le bruit de ma propre
respiration haletante. Je devais me dépêcher de rentrer avant que la neige ne
se transforme en boue sur le sol. Le temps qu’il me faudrait pour atteindre
la maison me paraissait plus long que toutes les nuits de ma vie mises bout
à bout. Quand ce chemin de calvaire prendrait-il fin ? Y aurait-il au moins
une fin ? J’agrippai plus fort les cuisses de Jeong-man pour l’empêcher de
glisser sur mon dos.
Commenter  J’apprécie          00
Çà et là, des plaques d’humidité noircissaient le plafond. Une odeur de
moisissure flottait en permanence dans cette pièce en sous-sol. Au-dessus
de nous vivaient plus de dix familles sur trois étages. J’avais l’impression de
les porter sur mes épaules. Maman ! appela Ayeong timidement. Je lui
ouvris mes bras, mais elle hésita à me rejoindre. Alors, je me forçai à
sourire. Rassurée, elle finit par se jeter contre moi. Que vais-je faire de toi ?
murmurai-je. Et de moi ?
Commenter  J’apprécie          10
Jeong-man resta hospitalisé plus longtemps que prévu. Le service de
comptabilité exigeait à présent que je règle les frais médicaux deux fois par
mois au lieu d’une. Tout ce que je gagnais servait à payer l’hôpital. Ma mère
avait recommencé à travailler à domicile. Elle décorait des vêtements avec
des perles et des motifs en plastique adhésif. Ayeong jouait toute la journée
à côté d’elle avec les grains multicolores. Faute d’argent, j’avais dû
interrompre son traitement. On ne pourrait le reprendre qu’une fois Jeong-
man sorti de l’hôpital. Finalement, la seule chose qui n’avait pas changé
dans ma vie, c’était que j’avais toujours besoin de plus d’argent que je n’en
gagnais.
Commenter  J’apprécie          10
Ce n’est qu’en entrant dans la boutique de l’hôpital que je me rappelai
qu’Ayeong n’avait pas déjeuné. J’achetai les serviettes et les mouchoirs
réclamés par l’infirmière et les lui remontai, puis j’allai dans un petit
restaurant de l’autre côté de la rue. L’odeur de l’huile de sésame me donna
faim. Installée devant un bol de bouillie de riz, j’oubliai tout le reste.
J’enfournai une grosse cuillerée dans ma bouche et me brûlai le palais. Puis
j’en donnai une à Ayeong, non sans avoir pris la précaution de souffler
dessus plusieurs fois. J’alternais : une cuillerée pour Ayeong, une cuillerée
pour moi. La petite mangeait sans rechigner. Il ne resta bientôt plus rien.
Chaque fois que je voyais les dents minuscules de ma fille entre ses lèvres
rouges, mon cœur se serrait d’émotion. Bien sûr, je l’avais allaitée, mais
c’était la première fois que je lui donnais à manger à la cuiller.
— On a bien mangé ! m’exclamai-je en lui montrant le bol vide.
— On a bien manzé ! répéta-t-elle avec un sourire de bonheur.
Elle me considérait enfin comme sa mère. Son sourire me réchauffa le
cœur.
— Ne t’inquiète pas, ma chérie. Je ferai tout pour que tes jambes
guérissent, même si je dois vendre mon corps pour le restant de ma vie.
Rassasiée, elle bâilla en se frottant les yeux. Je téléphonai à l’hôpital et
pris un nouveau rendez-vous pour elle. Puis je rappelai ma mère.
Commenter  J’apprécie          00
J’avais pris rendez-vous à l’hôpital pour faire passer à Ayeong des
examens approfondis. Alors que j’étais déjà en route, un inconnu m’appela
sur mon portable et me demanda si j’étais bien la femme de M. Kim. Jeong-
man travaillait depuis trois jours dans une usine où l’on confectionnait du
kimchi en quantités industrielles.
J’avais dû coucher deux fois avec le directeur de l’agence d’intérim pour
le faire entrer dans cette entreprise. J’avais pourtant dit à ce dernier que je
venais tout juste d’avorter, mais il n’avait rien voulu savoir. J’avais saigné
sur son canapé, il n’en avait tenu aucun compte. Une fois son affaire
terminée, il avait déverrouillé la porte de son bureau, lâché un pet et dit :
« Tu reviendras, hein ? » Tout ça pour un petit boulot minable !
Commenter  J’apprécie          00
Selon Jini, qui avait tout
deviné, il était devenu compliqué de se faire avorter – un membre de la
famille devait signer une décharge avant l’opération –, sans compter que ce
n’était pas donné. Je ne pouvais tout de même pas claquer toutes mes
économies pour ça !
Mon bus franchit les limites de la ville. Des immeubles bas remplacèrent
les gratte-ciel, de vieux panneaux à la peinture écaillée, les enseignes
lumineuses. La route longeait la rivière. Un peu plus loin, surgiraient les
bâtiments de standing abritant restaurants, cafés et love hôtels… Mais le bus
ne prit pas cette direction. Il franchit un pont et s’engagea sur une voie
rapide. Le terminus ne se trouvait plus très loin. Une station avant, j’aperçus
la clinique gynécologique dont Jini m’avait parlé, l’établissement aux tarifs
abordables et aux formalités simplifiées.
Commenter  J’apprécie          00
C’était l’heure du déjeuner. L’eau bouillait dans la casserole. J’en sortis
les œufs, les trempai dans l’eau froide. Puis je mis des nouilles à cuire et y
versai une goutte d’huile de tournesol pour les empêcher de coller. Je lavai
de la salade et des feuilles de sésame, les essorai. Ensuite, je coupai des
oignons et des concombres en lamelles. Je préparai la sauce avec de la pâte
de piment rouge, du vinaigre, des petits oignons, de l’ail écrasé et du sucre.
Enfin, je rinçai les nouilles à l’eau froide, les égouttai et les mélangeai avec
la sauce, les légumes et un peu d’huile de sésame. Je les répartis dans deux
bols, chacun garni d’un œuf dur. Pour Ayeong, je préparai à part un peu de
nouilles avec de la sauce de soja, de l’huile de sésame et un mélange de sel
et de graines de sésame grillées. Sur la table, trois bols de nouilles, une
assiette de vieux kimchi et une autre de kimchi de jeunes radis que j’avais
rapporté du Jardin des Jujubiers.
Commenter  J’apprécie          00
On dit qu’un malheur ne vient jamais seul. Que pouvait-il m’arriver de
pire ? Assise par terre, les genoux sous le menton, je réfléchissais. Il y avait
encore bien des calamités possibles : recevoir un appel de Minyeong ou de
Junyeong me réclamant de l’argent ; apprendre que la vieille mère de
Jeong-man devait se faire opérer et devoir payer les frais d’hospitalisation ;
s’apercevoir qu’elle était morte en léguant les dettes de son fils aîné disparu
à Jeong-man et devoir prendre en charge ses deux autres petits-enfants.
Mais plus grave encore serait d’être chassés de notre logement ou de voir
notre fille incapable de marcher pour le restant de ses jours. Finalement, la
meilleure chose ne serait-elle pas que je meure avant Jeong-man et qu’il
restât seul pour s’occuper d’Ayeong ? Ou était-ce pire que tout ? Je laissai
échapper un soupir. Tout compte fait, comparée à toutes ces catastrophes,
ma situation n’était pas si dramatique. Pour régler le problème de ma
grossesse non désirée, il me suffisait de me faire avorter. En ce qui
concernait Jeong-man, je n’avais qu’à le quitter. Quant à Ayeong, je ferais
tout pour la faire soigner, quitte à m’endetter. Mais si personne ne voulait
me prêter d’argent et qu’elle demeure dans cet état ?… Je n’aurais plus qu’à
mourir. Et je l’emmènerais avec moi. Cela vaudrait mieux que de la laisser
seule. Il y a toujours une solution. A cette idée, je me sentis soulagée.
J’éclatai de rire. Jeong-man, effrayé, prit la petite dans ses bras et s’écarta à
reculons.
— Ne te sauve pas ! Je ne suis pas folle.
Il descendit tout de même dans la rue. Sans doute iraient-ils manger des
glaces à la supérette.
Puisqu’il fallait vivre, ce serait autrement, décidai-je. J’attendis le retour
de Jeong-man sans bouger, malgré la chaleur oppressante qui régnait dans la
chambre. Au bout de quelques instants, je l’entendis grimper l’escalier. Je
relevai la tête. Dès qu’il eut couché Ayeong endormie, je lui mis dans les
mains ses livres déchirés désormais inutiles.
Commenter  J’apprécie          00
Le pédiatre nous reprocha d’avoir tardé à lui amener notre fille. Il rédigea
une lettre pour un confrère, lequel ferait passer un scanner à Ayeong et lui
prescrirait un traitement approprié. Il ajouta qu’il y avait encore des chances
de guérison, mais qu’il fallait agir vite. Il nous recommanda deux grands
hôpitaux universitaires et un centre de soins pédiatriques. Agrippée au dos
de Jeong-man, Ayeong suçait un bonbon offert par une infirmière. Avant de
quitter la clinique, j’appelai les trois établissements pour leur demander
leurs tarifs. J’en restai sidérée. Non seulement la liste d’attente était très
longue, mais les honoraires étaient exorbitants. J’essuyai le visage et les
mains d’Ayeong tout poisseux de sucre. Depuis peu, elle ne me repoussait
plus. Nous sortîmes sans un mot.
Commenter  J’apprécie          00





    Lecteurs (178) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Les emmerdeuses de la littérature

    Les femmes écrivains ont souvent rencontré l'hostilité de leurs confrères. Mais il y a une exception parmi eux, un homme qui les a défendues, lequel?

    Houellebecq
    Flaubert
    Edmond de Goncourt
    Maupassant
    Eric Zemmour

    10 questions
    570 lecteurs ont répondu
    Thèmes : écriture , féminisme , luttes politiquesCréer un quiz sur ce livre

    {* *}