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Critique de berni_29


Sang chaud est ce roman noir qui m'a révélé l'envers d'un décor sud-coréen, pas forcément la carte postale idéale pour donner envie de visiter ce pays qui m'attire pourtant, mais pour autant c'est un paysage humain, violent et attachant que j'ai rencontré ici. C'est le monde du grand banditisme haut en couleur façon Corée du Sud. J'en rêvais !
Au-delà de la découverte de ce paysage sociologique, il y a bel et bien une intrigue qui se dessine autour d'un enjeu de pouvoir, mais sans doute pas celle d'un polar...
Ah, mes amis ! Les traditions se perdent aujourd'hui, la courtoisie se perd, le respect des anciens se perd... L'éloge du temps qui passe se perd, même en territoire mafieux... Ce n'est plus comme au bon vieux temps... Je vous le dis tout net, les jeunes voyous aux dents longues sont trop impatients de nos jours... À peine sont-ils nés qu'ils veulent déjà le beurre, l'argent du beurre et... pardon je m'arrête là pour ne pas offenser vos chastes oreilles. Tenez justement, même l'élégance du langage n'a plus cours chez les petites frappes d'aujourd'hui...
Prenez l'exemple de Père Sohn, qui règne en maître sur le royaume de Guam depuis quarante ans. Quel homme élégant ! Il n'a aucun sang sur les mains. Pourquoi ? Parce qu'il sait déléguer, tout simplement... Il est un sage, il est un médiateur, il fait confiance, il est plein d'empathie pour les personnes qui viennent s'abriter sous son aile. Pour les autres, il leur demande simplement de respecter les usages, la coutume. Leur vie tient à cela, ce n'est pourtant pas compliqué. Tout ceci fonctionne à la perfection depuis des décennies. Et puis, voilà ! C'est partout pareil, une nouvelle génération débarque dans le grand banditisme, qui vient tout bousculer les règles qui furent posées, édictées, respectées durant des siècles...
Mais Guam, c'est quoi ? c'est où ?
Ne cherchez point ce lieu sur une carte, même IGN, de la Corée du Sud. Guam est un endroit né de l'imaginaire du jeune auteur de ce polar, Un-su Kim. Guam est tout simplement un quartier fictif dans une ville tentaculaire bien réelle, Busan, avec son port et sa station balnéaire...
Dans l'envers de ce décor, la condition d'un pays et de ses habitants est présente ici aussi.
Au tout début de l'histoire, je me suis un peu perdu parfois dans ce dédale de personnages et de rues...
Je découvre que les voyous ont eux aussi des crises existentielles à l'approche de la quarantaine : leurs femmes, leurs enfants, la promotion, l'amour, la succession, leur devenir, la vie quoi !
Une vie sentimentale, amoureuse, voilà des voyous qui nous deviennent brusquement touchants. Oui, les voyous ont un coeur qui bat, une âme qui leur parle la nuit tout bas, une âme qui leur chuchote comme une conscience, l'idée de donner un sens à leur vie si fulgurante, si parfois éphémère... Leur dire tout simplement qu'ils sont là, bien présents, sans jugement... Après, ils feront ce qu'ils veulent, le chemin qu'ils veulent prendre.
Comment ne pas voir dans ce roman noir une tragédie antique ? Tous les ingrédients me semblent ici au rendez-vous.
Ici on joue du couteau à chaque instant, c'est la loi des hommes, du surin comme aurait dit mon père... J'adorais entendre ce mot de lui lorsque j'étais enfant, lorsque nous allions à la pêche... « Passe-moi le surin, l'anguille a avalé l'hameçon ». C'est mon père qui me l'a appris, l'argot venu des chantiers... Ici c'est l'argot des voyous, suriner ça veut dire couper du pain ou bien trancher le cou d'un homme, parfois l'éventrer si le geste est plus bas...
Busan, port de pêche, ici c'est aisé de recycler les cadavres, façon surimi... On n'arrête pas de vous le dire à longueur d'informations préventives, regardez bien au dos de l'emballage ce que vous mangez, la provenance de la matière première... C'est essentiel ! Derrière le E bidule, se cachent peut-être le bras, l'oreille, le poumon... d'un ennemi, d'un rebelle, son audace, son insolence, sa naïveté...
Les temps changent, le bon vieux temps n'existe plus, même chez les gangsters...
Le milieu de la pègre est organisé comme une entreprise, une organisation très pyramidale. Comme dans une entreprise, il y a des promotions, des plans de carrière, parfois des attentes longues, incomprises, des rêves déçus. Des personnes ambitieuses, plus ambitieuses que vous, qui cherchent à vous dépasser... Des rebellions aussi...
Ces voyous sont attachants et brusquement le récit est une déflagration, nous ramène à la réalité, parce que peut-être la vie est éphémère, ou du moins elle nous le semble ainsi.
Les voyous ont des femmes qui les aiment, les attendent là-bas dans des appartements sordides, ils ont des enfants illicites qui les admirent, veulent leur ressembler. Ils ont des rêves d'enfant qui surgissent parfois aussi au détour d'un paysage inattendu.
J'ai trouvé Huisu, le personnage principal de ce roman, attachant dans ses rêves et ses désillusions. Huisu, c'est l'homme de main pour la mafia de Busan, c'est le bras droit du sage père Sohn, il est atteint par la quarantaine. On l'a tous été, ou bien on le sera un jour... Ne croyez pas, chers amis, que sous prétexte qu'on soit dans la grande famille du banditisme, ce passage de seuil soit anodin. Aussi comme tout nouveau quadragénaire, cadre dynamique d'un belle entreprise, Huisu se pose pas mal de questions. Il faut le comprendre. Jusque-là, il n'a vécu que pour les coups tordus, la prison, les exécutions, tout ça pour se retrouver dans une chambre minable, seul, avec pour horizon des nuits passées à dilapider son argent au casino.
Et puis Huisu aime une ex-prostituée, Insuk, qui m'a touché fortement. Insuk ici m'est apparue comme un magnifique portrait de femme, esquissée avec sensibilité. J'aurais aimé que ce personnage soit davantage développé car il me semble qu'elle avait tant de choses à dire dans cette histoire.
Alors Huisu décide de prendre son destin en main et c'est là que le roman prend tout son sens et son vertige...
Oui, ici c'est vraiment une tragédie antique, non pas grecque, mais coréenne.
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