AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Antyryia



- Bonjour. Vous devez être monsieur Antyryia n'est - ce pas ? Veuillez vous asseoir s'il vous plaît.
Légèrement intimidé par cette femme maigre, d'apparence austère, et plus plate qu'une limande, je prends place sur la chaise de l'autre côté de son bureau.
- Je suis Madame Sigsby et c'est moi qui dirige cet endroit, enchaîna - t - elle.
Je ne peux m'empêcher d'être surpris d'être reçu directement par la P.D.G sans même passer au préalable par le service des ressources humaines.
- Euh, eh bien enchanté Madame Sigsby. Comme vous l'avez deviné c'est l'agence Pôle Emploi qui m'a envoyé ici et je suis là pour l'entretien d'embauche. Ils m'avaient aussi proposé un poste de veilleur de nuit mais les horaires imposés étaient nocturnes alors j'ai préféré décliner cette offre et me voici.
- Avant d'examiner avec vous l'ensemble de vos compétences, j'aimerais vous poser une question toute simple : A votre avis, que fait on dans cette entreprise ?
- Eh bien étant donné qu'elle s'appelle L'Institut j'imagine qu'on y prodigue de nombreux enseignements à de jeunes enfants.
- Vous n'êtes pas loin de la vérité, mais l'éducation ici pratiquée n'a rien de scolaire. Je vais vous expliquer en quelques mots ce qu'on fait ici pour que vous en compreniez les grandes lignes mais rien de ce que je vais vous dire ne devra sortir d'ici. Si vous répétez le moindre mot de cet entretien à l'extérieur de ces murs vous serez découpé puis broyé en morceaux tellement petits que vous tiendrez dans un pot à confiture.
J'acquiescai bien évidemment, en grand habitué des séries médicales et de la notion de secret professionnel, laissant Madame Sigsby poursuivre.
- Sachez tout d'abord que l'Institut existe depuis près de soixante-dix ans. Et qu'ici on sauve le monde des pires menaces. Si vous travaillez avec nous vous participerez à votre échelle au bien de l'humanité toute entière.
- Où est-ce que je dois signer ? demandais-je, tout excité à l'idée d'oeuvrer ainsi pour mon prochain.
- Ne m'interrompez pas quand je parle ! me coupa la longiligne Madame Sigsby.
Elle reprit alors son monologue. Je n'osais plus broncher.
- Comme vous le savez sans doute, on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs. C'est la raison pour laquelle l'Institut enlève des enfants âgés le plus souvent de huit à seize ans au taux de BDNF élevé qui ont des capacités de TK ou de TP. Notre équipe médicale les évalue d'abord à l'Avant avec une batterie de tests ordinaires, différentes injections, on leur fait voir des points lumineux également afin de développer leurs capacités. Quelques semaines plus tard ils se rendent à l'Arrière pour accomplir leur véritable rôle et terminent leur séjour à l'Arrière de l'Arrière.
Dubitatif, je levais alors la main avant de risquer de prendre la parole sans autorisation.
- J'imagine que vous avez pas mal de questions. Je ne pourrai certainement pas répondre à toutes mais je vous autorise à les poser.
- Eh bien tout d'abord, ça veut dire quoi TP ou TK ?
Madame Sigsby s'empara s'empara alors d'un manuel de 600 pages sur lequel on pouvait lire L'institut en lettres blanches avec en couverture un petit garçon dans une chambre sur une voie de chemin de fer. Et ce mode d'emploi était rédigé à en croire la couverture par le grand Stephen King himself, dont le nom apparaissait quant à lui en un relief doré.
Elle feuilleta rapidement le pavé jusqu'à me lire un extrait :
"TP, ça veut dire télépathe. Et TK ...
- Télékinésie."
Sachez cependant que les télépathes sont devenus une denrée de plus en plus rare, me précisa la patronne de l'Institut.
- Et BDNF ? C'est pour Banque du Nord de la France ?
- Très drôle monsieur Antyryia. Il s'agit du facteur neuropathique dérivé du cerveau qui nous permet dès la naissance de ces petits prodiges de les identifier et de les enlever le moment venu.
A ce sujet, avez-vous une expérience militaire ? Vous pourriez alors rejoindre l'équipe Rubis ou l'équipe Opale. Elles sont chargées de nous livrer les jeunes prodiges après avoir massacré toute leur famille.
Très intéressé par cette opportunité professionnelle qui devrait en outre me rapporter un maximum de blé, j'essayais de me vendre.
- En effet Madame. J'ai effectué mon service militaire. J'ai passé neuf mois à Paris à la Direction Centrale de Protection et de Sécurité de la Défense, l'équivalent de la police des polices dans l'armée. Mon travail principal consistait à appuyer sur un bouton afin d'ouvrir la barrière à chaque fois qu'un véhicule devait rentrer dans cette zone de haute sécurité.
- Et avez-vous une bonne expérience des armes à feu ?
- Pendant mes classes, à Reims, j'ai tiré deux fois avec un fusil d'assaut. Et je crois me rappeler avoir touché une fois ma cible.
- Je crains que ce ne soit pas suffisant. En tout cas vous ne pourrez pas rejoindre nos commandos ni l'équipe de sécurité de Monsieur Stackhouse. La prochaine cible, un jeune homme du nom de Luke Ellis aux talents balbutiants de télépathe également surdoué, risquerait de vous donner trop de fil à retordre. Peut-être l'équipe du docteur Hendricks ? Est-ce que vous avez des connaissances médicales assez pointues ?
- Parfois j'arrive à m'automédicamenter, répondis-je en toute sincérité.
- Je pense donc qu'on peut éliminer cette hypothèse également. Alors préféreriez-vous être technicien, intendant, travailler au réfectoire ou encore espionner la marmaille avec l'ensemble du personnel d'entretien ?
Pensant que j'étais mal à l'aise avec l'idée de torturer des enfants, Madame Sigsby crut bon de préciser qu'il ne fallait surtout pas les considérer comme tels, mais comme des cobayes qui étaient la propriété de l'Institut et qui devaient être sacrifiés sur l'autel de la préservation du plus grand nombre.
- Ca vous dirait de travailler avec un taser ?
- Si vous me prenez par les sentiments, répondis-je avec les yeux illuminés et plein d'espoir.
- Sachez qu'ici on pratique beaucoup la carotte et le baton. Comme vous vous en doutez les enfants sont parfois un peu perturbés lorsqu'ils sont enlevés pour être emmenés ici. J'ai beau les rassurer hypocritement, certains doutent, d'autres se rebellent comme Nicky Wilholm, actuellement à l'Avant. Votre travail consisterait donc à punir les plus récalcitrants, c'est à dire ceux qui refusent les piqûres et les expériences auxquelles ils n'échapperont de toute façon pas. Dans ces situations quelques volts s'imposent jusqu'à briser les plus récalcitrants. A l'inverse, s'ils font sagement ce qui leur est demandé, s'ils ne protestent pas par exemple au moment de leur prendre la température par la voie rectale, alors vous devrez les récompenser avec quelques jetons. Notre but est de les rendre les plus malléables et dociles possible.
- A quoi servent ces jetons ?
- C'est la monnaie avec laquelle ces enfants peuvent s'acheter de petites récompenses : Accès restreint à un ordinateur, distributeur de sodas et de friandises, et même alcool et cigarettes.
- A huit ans ? m'exclamai-je
- Vous seriez surpris de voir ce que certains sont prêts à faire pour tenter d'oublier qu'ils sont ici. Et les rendre dépendants est une autre façon de les contrôler me dit-elle avec un clin d'oeil.
- Où est-ce que je signe ? demandai-je, salivant d'avance à l'idée d'en faire baver à tous ces petits prodiges mentaux.
- Ici et ici, me dit-elle, en me tendant ensuite mon exemplaire avec le manuel rédigé par Stephen King.
- Vous commencerez dès lundi prochain, poursuivit-elle. Ce qui vous laisse le temps de vous imprégner de notre réglement. Tout est dans ce roman.
- Un roman ? m'interrogeai-je en feuilletant quelques pages et je frissonais en tombant sur les extraits suivants :
"Il pensa aux Juifs à qui on tatouait des numéros sur les bras quand ils entraient dans les camps, à Auschwitz ou Bergen-Belsen."
"Il repensa aux camps de concentration et aux expériences horribles, stupides, menées par les nazis."
- Oui, plutôt que de faire un réglement barbant on a fait appel à un spécialiste qui nous a rédigé une version catastrophe de ce qui pourrait arriver à notre Institut si on ne prend pas toutes les précautions nécéssaires, ce qui rend notre personnel bien plus attentif aux risques tout en lui apprenant tout ce qu'il doit savoir sur le fonctionnement de cet endroit. Vous connaissez Stephen King ?
- Plutôt oui, je dois avoir lu les trois quart de ses romans environ !
- Alors vous vous doutez bien que quand il a appris qu'un centre hébergeait des enfants aux capacités spéciales et qu'on lui en a expliqué le fonctionnement, il n'a pas pu s'empêcher de rédiger une oeuvre sur le sujet à notre demande. A croire qu'il est retombé à la fin des années 70 ou début des années 80 d'ailleurs et qu'il retrouvait à la fois les prémonitions du jeune Danny de Shining, les pouvoirs de télékinésie de Carrie, la pyrokinésie de Charlie ou encore l'amitié unissant les enfants dans Ca. Vous savez que l'enfance et les pouvoirs psychiques ont longtemps été une grande source d'inspiration pour l'auteur américain qui a ainsi saisi l'opportunité de revenir à ses premières sources d'inspiration.
- Et c'est un grand King ?
- Vous vous ferez votre propre avis. En tout cas c'est un réel plaisir de le retrouver à écrire sur ses anciens thèmes de prédilection. Pour ma part en tout cas j'ai adoré même si j'ai trouvé la fin un peu confuse, surréaliste et exagérée.
Le téléphone interrompit notre échange.
- Parfait. Amenez-la le plus rapidement possible. Je vais prévenir Madame Alvorson pour qu'elle lui prépare tout de suite sa chambre.
Une fois que Madame Sigsby eut raccroché, je l'interrogeai des yeux.
- L'équipe Opale vient de capturer une nouvelle pensionnaire, Kalisha Benson. Ses parents ont tous deux été tués et l'opération s'est très bien déroulée me dit-elle avec un grand sourire. Les télépathes sont devenus tellement rares de nos jours ! Je compte donc sur vous dès la semaine prochaine pour dompter cette jeune femme avec l'aide de nos autres intendants. Merci pour votre enthousiasme Monsieur Antyryia. Je dois vous laisser maintenant.
L'entretien d'embauche s'acheva sur une franche poignée de main.
Il sera encore temps lors de ma prise de fonctions de parler de mes émoluments.
Commenter  J’apprécie          7911



Ont apprécié cette critique (59)voir plus




{* *}