Les enquêtes d'Olivia Kasner, tome 23 : Le tueur de blondes

 Cela dépend bien entendu de la nature de l’intervention. Mais en principe, je suis réticente à débuter les opérations de chirurgie esthétique à un si jeune âge. Il y a plusieurs raisons à cela : d’abord à cet âge-là, le corps n’a pas terminé d’évoluer et opérer par exemple un nez qui changera encore est une hérésie. Ensuite, les jeunes n’ont pas encore leur identité, leur personnalité propre. Ils veulent modifier leur apparence pour ressembler aux starlettes de téléréalité ou à cause de moqueries de leur camarade de classe.

...en plus de leur ressemblance physique, ces jeunes filles étaient toutes insatisfaites, complexées par une partie de leur corps. Mais tu as raison, cela ne mène à rien. Presque toutes les ado et les femmes aussi d’ailleurs ont ce sentiment. Il faut que nous poursuivions dans cette voie. Réinterrogez les amis des victimes, essayez de retracer leur dernier déplacement avant leur disparition, cela pourra peut-être nous apprendre quelque chose.

"  Les difficultés classiques de l’adolescence, je suppose. Elle commençait à s’intéresser aux garçons. Quelques mois auparavant, lorsque nous avions encore une relation quasi fusionnelle, elle m’avait raconté qu’elle était tombée amoureuse d’un des garçons de sa classe. Et puis, un après-midi, elle est rentrée en larmes. L’adolescent en question lui avait apparemment dit qu’elle n’avait pas d’assez gros seins, qu’elle était encore une gamine. C’est vrai qu’elle avait encore des rondeurs d’enfance. Et elle n’était pas réglée contrairement à la plupart de ses copines. Mais je lui avais dit que si ce jeune homme ne jugeait que sur l’apparence, c’est qu’il était superficiel et crétin et qu’il ne la méritait pas. Et puis, elle était passée à autre chose. "

Elle rêvait de représenter les Etats-Unis aux Jeux Olympiques et je suis sûre qu’elle y serait parvenue. Elle avait déjà gagné de nombreux prix et elle travaillait d’arrache-pied. Son entraîneur me disait que c’était la seule de ses élèves à laquelle il devait dire de se ménager, de se montrer moins dure envers elle-même. Cela nous inquiétait parfois. Nous nous demandions comment elle régirait si jamais elle se blessait, si un quelconque événement l’obligeait à mettre un terme à sa carrière sportive. Mais d’un autre côté, nous pensions également que cette passion était une bénédiction puisqu’elle la mettait à l’abri des mauvaises fréquentations, de l’alcool, de la drogue. Kat surveillait son alimentation, elle prenait extrêmement soin d’elle-même. Elle ne se maquillait pas, ne s’intéressait pas aux garçons. Elle allait jusqu’à se plaindre d’avoir une poitrine trop volumineuse ! La plupart des gymnastes ont de très petits seins et elle avait peur que cela la desserve. Une ou deux fois, elle a même évoqué la possibilité de se faire opérer mais j’ai refusé de lui donner mon autorisation. Je pensais que cette intervention était trop lourde, trop importante et qu’elle devait prendre le temps de réfléchir. — Je me demande si nous ne lui avons pas trop fait confiance, lança soudain le père. Vous savez, elle était si mûre, si raisonnable.

Ma fille était comme ça. Lorsqu’elle se lançait dans un projet, elle s’y donnait corps et âme, cela devenait une obsession. J’ai pensé que Sharon serait à même de la comprendre, d’en faire un beau portrait.

Je l’avais pris pour une des ces blogueuses à la recherche de scoops qui déforment ce que vous leur dites et écrivent des bêtises sur les réseaux sociaux. Mais, elle m’a convaincue de la laisser entrer et de lui parler. Elle m’a expliqué qu’elle allait encore au lycée et qu’elle préparait un article pour le journal scolaire sur la disparition d’Alyssa et des autres jeunes filles.

Elle ne voulait pas être actrice ou chanteuse, non, elle voulait juste être célèbre. Elle pensait que des gens seraient prêts à faire une émission de télé sur elle comme pour les Kardashian ou Paris Hilton. J’ai tenté de lui dire que ces personnes pouvaient se permettre de ne rien faire de la journée parce qu’elles venaient de familles riches et cela suffisait pour attirer le public mais qui s’intéresserait à la fille d’une femme de ménage ? Mais elle ne m’écoutait pas. Ah, si elle avait consacré autant de temps et d’attention à ses études qu’à faire des régimes ou des exercices de fitness pour avoir les fesses de Kim Kardashian, elle aurait pu intégrer Harvard. Mais elle était paresseuse, elle refusait d’ouvrir un livre !

Ce sont ces émissions qui lui ont tourné la tête. A partir de là, elle ne fichait plus rien en classe. Je lui avais pourtant expliqué que c’était important de bien travailler à l’école, d’avoir de bonnes notes pour faire des études et ne pas finir comme moi. Mais elle se moquait de moi, elle me disait que le lycée ne l’intéressait pas, qu’elle allait devenir une star. Qu’elle rêve de célébrité, encore, je pouvais le comprendre. Moi aussi, plus jeune, je rêvais d’être Madonna ou Kate Moss. Mais ce que je voulais, c’était chanter, porter de beaux vêtements ou jouer dans des films. Lorsque j’ai tenté d’être compréhensive et de dire à Alyssa que je lui paierais des cours de danse, de chant ou de comédie si elle faisait un effort en classe, elle m’a regardée comme si je tombais de la lune.

Qui était cet assassin qui avait eu accès à ces cinq jeunes filles à la vie si différente ? Ou bien avait-on fait fausse route dès le début ? Le tueur avait-il choisi ses victimes au hasard et joué de ruse pour les aborder sans éveiller leur méfiance ? Olivia secoua la tête. Non, tout ce qu’elle avait lu dénotait une préméditation. L’assassin ne les avait pas tué sur une impulsion. Il avait prémédité son acte, les avait traquées des jours, peut-être des semaines auparavant, elle en était sûre !

C’est une jeune fille très intelligente, brillante, qui sait ce qu’elle veut et a de la suite dans les idées. Elle n’est pas vraiment populaire mais sa grande force est qu’elle s’en moque. A son jeune âge, elle a déjà assez de personnalité pour ne pas adopter spontanément le point de vue et le comportement des plus populaires. Non, au contraire, elle défend ses propres convictions et je trouve ça remarquable.