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Critique de afriqueah


Lorsque Mary Kingsley se retrouve orpheline, alors qu'elle a vécu trente ans chez ses parents, un peu comme femme à tout faire, elle décide de voyager.
Où ? En Afrique, pourquoi pas ?
Tous ses amis s'exclament que c'est le tombeau de l'homme blanc, et de plus, chacun d'eux connait de près ou de loin un aventurier… pas de chance, il vient de quitter ce monde.
Puisqu'elle reçoit des listes sur les dangers de l'Afrique occidentale, et qu'elle adore désobéir, elle se décide, oui, elle ira dans la région du « Congo » recouvrant l'actuel Gabon et Fernando Poo, appelée de nos jours Bioko en Guinée Equatoriale, pour rapporter des poissons, des scarabées et des fétiches.
« A ce moment-là, l'Afrique et moi-même, ignorant tout l'une de l'autre, nous terrifions mutuellement » elle se préparant à améliorer le menu de notables indigènes, eux, la croyant sans doute liée à une ligue féminine antialcoolique.
Ce qu'elle boit chaque jour, c'est sa tasse de thé. Mary conjugue le puritanisme bien élevé de l'époque victorienne, et une audace de pensée et d'action surprenantes. Audace lorsqu'elle nage, traverse des torrents, pilote une pirogue, seule bien entendu, le tout avec ses jupes longues, qui la protègent de tous les dangers et bestioles, car il n'est pas question pour elle de paraitre une faible femme ni de porter des pantalons.

Elle remonte l'Ogooué en pirogue avec ses huit rameurs Galoa et s'étonne avec un humour so british, de ce que les listes sur les articles indispensables en climat tropical n'aient pas mentionné de mari : un roi lui interdit de partir, pour affronter les rapides après Djolé, en l'absence de mari. Elle finit par partir, sans l'indispensable conjoint « suivie de mes hommes comme une poule par ses poussins ».
Elle entreprend l'ascension du Mont Cameroun, sous la pluie et la brume, laisse sa carte de visite sous un cairn, imitant Richard Burton qui déposait, lorsqu'il était consul à Fernando Poo, des bouteilles avec son nom sur les anciens volcans. 4 100 mètres, tout de même, saluons la performance.
Bref, rien de ce qui est dangereux ne lui semble impossible.

Audace de pensée, lorsqu'elle analyse la polygamie, avec la volonté de comprendre : cela ne l'intéresse pas du tout de comparer avec la vie européenne, en faveur de cette dernière : elle justifie donc la polygamie pour diverses raisons. Pour une femme devant faire tous les travaux des champs, avoir une aide est bienvenu. « Plus il y a d'épouses, moins il y a de travail ». Et puis les polygames qui ont femme dans chaque village sont sûrs que le troc sera équitable en leur absence, chacune veillant au grain, avec l'avantage de ne pas avoir le mari tout le temps dans les pattes.
Audace, encore, lorsqu'elle veut absolument visiter les Fangs anthropophages, polygames et ne pratiquant pas l'esclavage. Elle n'a pas vraiment envie de terminer en jolis morceaux fumés, d'autant que les autres dangers, les animaux sauvages, rendraient sa disparition plus que probable. Alors elle se contente d'engager peu de Fangs, mieux vaut limiter les risques.
Pourtant, une amitié basée sur l'intérêt bien compris de ne pas risquer sa vie, lui fait comprendre le sentiment d'appartenance à une même famille d'humain entre eux et elle (bien qu'elle remarque qu'un gentilhomme fang, avec fusil portait un morceau de tissu « ridiculement court, à mon avis » dit-elle).
Dans sa chambre, elle découvre un sac avec une main, des orteils, quatre yeux, des oreilles et autres morceaux. Sa réaction, mélange d'acceptation d'une autre coutume et de victorianisme, pourrait être du Desproges : « Plus tard, j'appris que les Fangs, qui ne répugnent pas à manger leurs petits camarades, aiment quand même à garder d'eux un petit souvenir… Touchante coutume. Et quoique cette délicate attention soit tout à leur honneur, je trouve quand même déplaisante cette habitude de conserver les souvenirs dans la chambre d'amis, surtout quand il s'agit d'un deuil récent. »

Finalement, ce sont les Fangs, pourtant peu aimés -et on comprend pourquoi- par les autres ethnies, qui ont sa préférence, par leur beauté corporelle (la petite maligne), leur courage et leur force. Elle rapproche toujours les moeurs qu'elle observe avec nos coutumes. Ainsi un procès lui semble « une forme primitive de tribunal de commerce… » la seule différence est que « blanchir la réputation d'un homme se fait ici avec couteau et marmite. » Elle comprend, et je sais par expérience que je dois expliquer qu'elle ne se fait en aucune façon le porte-drapeau de la polygamie et de l'anthropophagie. Elle comprend.

Elle s'extasie sur la beauté de la nature, les couchers de soleil améthyste, or, rose et émeraude, la cathédrale formée par les arbres, et les fougères arborescentes lorsqu' elle et ses hommes approchent du sommet du Mont Cameroun.
Longuement, elle étudie le fétichisme, source fort importante puisque nous sommes en 1895, et que les premiers explorateurs avaient remonté l'Ogooué seulement trente ans auparavant.
Par son style caustique, par son approche humaniste, par sa vision d'une autre société, par son ironie quant au pouvoir masculin, qu'elle coiffe au poteau, par ses descriptions de la beauté des paysages d'Afrique de l'Ouest, ce livre est un bijou d'érudition et d'aventures, humour en sus.
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