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Critique de Presence


Ce tome regroupe les épisodes 1 à 20, initialement parus de 1972 à 1974, écrits et dessinés par Jack Kirby, et encrés et lettrés par Mike Royer (épisodes 1 à 16), puis par D. Bruce Berry (épisodes 17 à 20). Il devrait être complété par un tome 2 (épisodes 21 à 40 écrits par Kirby -21 à 37- puis par Gerry Conway, tous les épisodes étant dessinés par Kirby). La série Kamandi survivra encore quelques épisodes au départ de Kirby, jusqu'au numéro 59 en 1978.

Dans un futur plus ou moins lointain, la civilisation humaine a été éradiquée par le Grand Désastre. Les villes sont en ruine, les êtres humains ont été ravalés à l'état d'animal à la conscience limitée, les animaux ont acquis une conscience et l'intelligence, et pour la majeure partie ont muté dans une forme anthropoïde. C'est dans ce contexte que Kamandi (le dernier garçon de la Terre) effectue une sortie de son bunker, sur un canot gonflable, et découvre une meute d'humains. de retour dans son bunker, il découvre que des loups anthropoïdes doués de conscience et de paroles se sont introduits à l'intérieur, ont tué son grand père, et sont en train de se livrer au pillage. Après s'en être débarrassés, Kamandi quitte à tout jamais le centre de Commande D, pour parcourir ce qu'il reste des États-Unis. Il va se retrouver souvent pris entre 2 factions en guerre (tigres contre léopards, contre singes, etc.). Il va devoir se défendre contre des rats pilleurs, contre des lions ayant établi une réserve naturelle d'humains sauvages, se délivrer de l'affection que lui porte un singe géant, lutter contre des chauves-souris mutantes, aider des gauphres à moitié intelligents, lutter dans l'arène des léopards contre un humain sauvage, démythifier les auditions du Watergate, visiter un parc d'attractions à l'image de la pègre de Chicago des années 1930, etc. L'imagination de Jack Kirby est sans limite. Il fera également la connaissance de quelques personnages lui apportant son aide : Ben Boxer et son coeur cyclonique (avec Renzi et Steve, ses 2 compagnons), la belle Spirit (la soeur de Flower), le Prince Tuftan, le docteur Canus, et Klikklak (la sauterelle mutante).

Au début des années 1970, Jack Kirby a décidé de travailler pour DC Comics et il traverse une période créative qui apparaît hallucinante avec le recul (tout en VO) : Fourth World (Miracle Man, New Gods, Forever People, Jimmy Olsen), The Demon, The Losers, OMAC (One Man Army Corps). Kamandi est la série qui comprendra le plus d'épisodes (une quarantaine), alors qu'elle n'est pas rattaché à l'univers partagé DC (à l'exception d'un moment émouvant dans l'épisode 29). il s'agit d'une série qui s'adresse aux enfants : aventures à gogo, aucune psychologie, explications réduites au minimum, de l'action, des situations extraordinaires, de l'action, du spectaculaire, et encore de l'action. le personnage de Kamandi est désigné comme étant le dernier garçon de la Terre, et effectivement il se conduit comme un grand adolescent fougueux, ayant comme seul objectif de survivre, de vivre libre, en espérant un jour que les humains reprendront la place qui leur revient, c'est-à-dire en haut de l'échelle de l'évolution. Jack Kirby respecte également les codes en vigueur à l'époque : la violence doit être le moins visuelle possible (pas de sang, pas de blessure montrée, pas d'impact physique dessiné, juste des onomatopées, des coups portés hors cadre, ou des traits de puissance masquant l'impact). de la même manière, les coups de feu sont plus ou moins dangereux pour la santé. La plupart des tireurs ratent leur cible, et quand la balle atteint sa cible, à nouveau pas de sang, pas de mort dans le cadre de la case (mais plutôt hors champ). Enfin, en termes de scénarios, Jack Kirby utilise souvent le principe de Kamandi pris entre 2 feux, fait prisonnier par l'un ou l'autre des 2 camps (voire les 2 successivement), pour mieux s'échapper et fuir faire vers un autre conflit, ou tomber dans un guet apens. Enfin aux yeux d'un lecteur d'aujourd'hui, les dessins pourront sembler un peu frustes, pas très jolis, et parfois naïfs. Et pourtant quelle aventure ! Quel spectacle grandiose ! Quelle imagination !

La plupart des épisodes (tous sauf 1) commencent par un dessin pleine page, suivi par un dessin en double page. Sans exception, toutes ces doubles pages sont à couper le souffle. Dès le premier épisode, le lecteur prend la mesure du souffle épique de l'histoire, avec Kamandi sur son petit canot contemplant la partie supérieure de la statue de la Liberté, ainsi que le somment de quelques gratte-ciels émergeant au dessus de l'eau. Bien sûr ce spectacle fait pense à Charlton Heston découvrant un paysage similaire dans La Planète des singes (1968), sauf que Jack Kirby dispose d'un budget illimité qu'il ne se prive pas d'utiliser. Deuxième épisode, la double page est consacrée à des rats anthropomorphes pillant des décombres à demi submergés pour ramener leur butin dans un dirigeable. Troisième épisode, le lecteur contemple Kamandi prisonnier d'un lasso manipulé par un gorille en habit militaire exotique. Pendant 20 épisodes les situations les plus délirantes se succèdent, sans jamais baisser d'intensité.

Bien sûr, le lecteur peut tiquer devant ce héros habillé uniquement d'un short bleu déchiré et de bottes bleu assorties, quels que soit l'environnement dans lequel il se trouve (sans jamais penser à se protéger ses aspérités avec un vêtement). Évidemment, ces États-Unis dévastés le sont à des degrés divers pour permettre au récit de se dérouler comme le scénariste l'entend. Parfois les routes sont encore praticables, d'autres fois non. Les personnages ne semblent finalement avoir aucun souci d'approvisionnement en nourriture ou en carburant. Lorsque Kamandi arrive dans une ville gérée par des lions, elle dispose encore d'électricité sans qu'il ne soit jamais expliqué comment. Peut importe, ce qui compte, c'est l'aventure, les situations impossibles et époustouflantes, l'exotisme d'anticipation. Certes le lecteur se retrouve parfois devant des concepts peu clairs : le coeur cyclonique de Ben Boxer est tout aussi étrange que son obligation de revêtir une combinaison spatiale (mais le casque est en option). Mais tout cela n'est que détail au milieu de ces étranges aventures. Jack Kirby a l'art et la manière d'amalgamer des éléments hétéroclites dans un tout qui fait sens. Il est possible de passer de Kamandi lisant un comics de The Demon, à un discours d'Adolph Hitler, en faisant un détour par les auditions du Watergate, par un pastiche de King Kong, sans oublier l'issue d'une bataille décidée par les tirages d'un bandit manchot (machine à sous).

Évidemment, les dessins de Kirby ne sont pas du goût de tout le monde (bouche ouverte pour les personnages, bras tendus en avant vers le lecteur, nombreux traits non signifiants pour figurer les textures, bouts de doigts carrés, visages plutôt laids, expressions peu variées, etc.). Mais quelle énergie bouillonnante dans chaque case ! Les dessins de Kirby regorgent d'une énergie sans cesse renouvelée, celle de la jeunesse. Quelle maestria pour représenter le maelström des flammes, le crépitement de l'électricité ! Il n'a pas son pareil pour faire apparaître l'ancienneté de la pierre, la rugosité des troncs, les plis et les fronces des vêtements. de la même manière que ses récits amalgament toutes sortes d'influences, ses dessins unifient des éléments disparates, sans jamais les uniformiser. le lecteur sera aussi bien dégouté par l'apparence contre nature de ces chauvesouris anthropomorphes, qu'émerveillé par la transformation surnaturelle de Ben Boxer et ses coéquipiers. Il retrouvera même la propension de Kirby d'expérimenter avec des photomontages (double page de l'épisode 9). Les 16 premiers épisodes bénéficient de l'encrage impeccable de Mike Royer. Il rehausse à la perfection les dessins de Kirby, respectant ses traits gras, son approche épurée parfois conceptuelle des visages et des textures. Royer sait transcrire la densité de chaque élément, rendre tangible chaque surface, rendre la profondeur de champ de chaque scène. D. Bruce Berry est un peu moins assuré, hésitant entre respecter les traits gras et appuyés de Kirby, ou utiliser une forme d'encrage plus traditionnelle avec des traits fins pour détourer ou rendre la texture. Les images perdent un peu de leur unité conceptuelle, et également en profondeur de champ.

Au travers de ces 20 épisodes, Jack Kirby propose au lecteur de retrouver son âme d'enfant et de s'émerveiller devant des aventures d'anticipation où souffle un vent d'inventivité énergique emportant toute réticence sur son passage, pour un tourbillon décoiffant, divertissant et sans limite.
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