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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Walking Dead, Tome 21 : Guerre totale (épisodes 121 à 126) qu'il faut avoir lu avant. Il est préférable d'avoir commencé la série par le premier tome. Il contient les épisodes 127 à 132, initialement parus en 2014 à un rythme redevenu mensuel, écrits par Robert Kirkman, dessinés par Charlie Adlard, encrés par Stefano Gaudiano, avec des trames de gris apposées par Cliff Rathburn.

2 ans après la fin de la guerre contre les Sauveurs, un groupe de 6 personnes (Magna, Yumiko, Bernie, Kelly, Connie, Luke) arrive dans les environs de la communauté d'Alexandria. Ils se déplacent sur un énorme container de trente mètres cubes placé sur une remorque de poids-lourd, tirée par 6 chevaux attelés. Perchés au sommet du container, ils voient arriver un groupe important de zombies (une petite horde) qui avancent de manière mécanique et qui renverse le container, les faisant tomber par terre. Ils ont la surprise de voir débouler une horde de cavaliers menée par Paul Monroe, secondé par Eugene Porter, et quelques autres. Ils étaient en train de détourner cette horde de son chemin, pour s'assurer qu'elle ne risque pas d'aboutir à proximité d'Alexandria. Monroe et son groupe accentuent encore le dévoiement de la horde, s'assurent que le groupe de Magna est sain et sauf. Paul Monroe va à leur contact et leur propose de rejoindre la communauté d'Alexandria, sous réserve de se plier à un protocole de sécurité.

En 2 ans, la vie de la communauté d'Alexandria a doucement évolué. Rick Grimes s'est coupé les cheveux et s'est laissé pousser la barbe. Carl Grimes a adopté le port des cheveux longs, ainsi que d'une paire de lunettes avec un verre opaque pur cacher son orbite vide. La communauté a organisé un potager et un verger au sein de l'enceinte pour gagner en autonomie. Certains résidents se sont remis à faire du sport, comme du footing. Rick Grimes a pris une position plus responsable de la communauté, supervisant la production et la gestion des ressources. Il lui faut maintenant accepter que Carl souhaite devenir plus indépendant et utile à la communauté, et prendre en charge l'intégration des nouveaux arrivants, en appliquant la procédure.

Après 10 ans d'existence de la série, le lecteur ne peut que s'incliner devant le chemin parcouru par les auteurs (et les personnages), et leur progression vers l'avant, sans se répéter, sans se reposer sur un schéma ayant fait ses preuves. La fin du tome précédent indiquait qu'un nouveau palier allait être franchi, en termes de (re)construction d'une société. Effectivement, il existe maintenant plusieurs communautés (Alexandria, Hilltop, et peut-être d'autres) et une forme de commerce basé sur le troc a été mis en oeuvre. le lecteur sourit en voyant le dessin en double page montrant la scène qui s'offre à Rick Grimes quand il sort de chez lui. La communauté d'Alexandria a réussi à parvenir à un niveau de société du moyen-âge, sans le poids de la religion ou des guerres. Adlard et Gaudiano compose un dessin montrant les différentes activités comme la culture ou l'élevage, avec des individus souriants. Adlard s'amuse même à mettre le cul d'un cochon en premier plan dans la page suivante, parce qu'il a la latitude de conserver un peu de provocation visuelle. Les artistes ont su amalgamer des outils des siècles passés, avec une économie reposant encore pour partie sur la récupération. Ils construisent une vision très cohérente, que ce soit un moulin à vent flambant neuf, ou une carriole avec des matériaux d'origines variées. Après 2 tomes éprouvants, le lecteur apprécie de voir ces scènes reposantes et tranquilles. Il l'a au moins autant mérité que les personnages. Les auteurs se retiennent de donner une impression idyllique et bucolique, en intégrant des éléments comme des pluies persistantes, et en rappelant la présence diffuse des zombies qui rendent les voyages toujours dangereux.

Le lecteur de longue date peut pleinement apprécier le chemin parcouru et la capacité d'apprentissage de Rick Grimes, ainsi que de sa communauté. L'apparition d'un nouveau groupe de survivants constitue un événement régulièrement employé pour apporter du changement et une nouvelle source de risques. Néanmoins, il apparaît que Rick et les autres ont su développer une procédure pour minimiser les risques et faciliter l'intégration, sans exposer la sécurité de la communauté. le lecteur est bien sûr tout acquis à la cause de la communauté d'Alexandria, mais les dessinateurs réussissent à générer de l'empathie pour le groupe de Magna. Leurs visages montrent qu'ils éprouvent la même défiance que Rick et les siens ont pu éprouver par le passé, devant une communauté déjà constituée, plus forte en nombre, et imposant des règles strictes qui requièrent de déposer les armes pour les nouveaux arrivants. En les regardant, le lecteur peut ressentir aussi bien leur espoir de trouver un havre de paix, que la méfiance vis-à-vis de ce cadeau trop providentiel pour ne pas s'accompagner d'un prix à payer.

Par la suite, le lecteur est à nouveau le témoin de la narration matoise des auteurs. le groupe de Magna n'a nulle intention de s'en remettre aveuglément aux mains de Rick et des individus chargés du maintien de l'ordre. Ils savent mettre à profit le fait qu'eux aussi constituent un petit groupe aux intérêts communs, pour farfouiller et explorer Alexandria dans ses moindres recoins, au nez et à la barbe des autorités. En particulier, ils finissent par réussir à se retrouver face au prisonnier à vie, détenu dans un des bâtiments, et maintenu au secret. Charlie Adlard s'en donne à coeur joie avec des visages tendus et fermés lorsqu'Andrea interroge Magna, faisant apparaître une agressivité sous-jacente provoquée par l'inquiétude. Il joue avec le noir et les visages farouches quand 3 d'entre eux descendent au sous-sol pour découvrir qui est le mystérieux détenu, et pourquoi il est tenu au secret. Il s'amuse beaucoup avec le jeu d'acteur du prisonnier qui s'emploie à embobiner les nouveaux venus. Il utilise des mimiques tout aussi appuyées quand Marco bégaye qu'il a vu une nouvelle race de zombies, dotés d'une capacité inattendue.

Bien sûr Robert Kirkman n'oublie pas que ses lecteurs attendent également un minimum d'action. Il y a donc cette opération clandestine de petite envergure menée par Magna dont les artistes font s'exprimer tout le potentiel de suspense. Il y a également cette patrouille de routine effectuée par Ken et Marco à cheval. Ils se font attaquer par un groupe de zombies et l'un d'eux est blessé aux jambes, mais pas mordu. Jamais avare d'effet choc, Adlard dépeint la chute de cheval dans un dessin en pleine page. Carl et Rick Grimes se heurtent également à un groupe de zombies sur leur chemin. C'est l'occasion de quelques coups de hachette bien placés, et de représenter les zombies de face comme s'ils avançaient droit sur le lecteur. Effectivement, plus le temps passe plus le danger de se faire mordre semble s'éloigner, mais lorsque les zombies surgissent, ils restent toujours aussi mortels. Adlard et Gaudiano se montrent tout aussi enthousiasmes pour rendre le nouveau groupe de zombies, macabre au possible, avec un dessin pleine page quand il passe près d'un blessé dans un fossé, et un autre dessin en pleine page avec Dante tenant son épée, et autour de lui de nombreux cadavres. Certes, la menace des zombies a reculé au fur et à mesure que la sécurité des communautés augmente, mais ils n'ont pas disparu pour autant.

Les auteurs n'ont donc pas abandonné la fibre thriller de leur narration, et malgré la sécurité apparente, le lecteur constate que de nombreuses menaces rôdent autour, de nature assez différente. Les auteurs n'ont pas non plus abandonné la dimension politique de leur récit. Robert Kirkman montre que Rick Grimes progresse dans la reconstruction d'une société pérenne, avec un niveau de sécurité satisfaisant. En particulier, le lecteur peut voir les patrouilles autour de la communauté d'Alexandria, et leurs méthodes. En fin de tome, il assiste également à une manoeuvre apprise et répétée, de défense d'un petit groupe contre des zombies les encerclant. La narration est impeccable, avec des dessins montrant bien chaque phase de la manoeuvre et des phylactères attestant qu'il s'agit d'un mouvement concerté, par le biais d'ordres brefs. le lecteur observe ni plus ni moins qu'une action de défense du territoire contre des ennemis disséminés sur la région.

Robert Kirkman n'a pas non plus abandonné ses personnages. Au cas où le lecteur ne l'ait pas remarqué, il insiste bien sur le fait que certains ont grandi, et que d'autres ont vieilli. le lecteur peut ressentir une pointe de déception à voir que Rick Grimes n'est plus un héros d'action, qu'il a pris en charge un rôle d'organisateur, de superviseur et de responsable d'une communauté. Il se déplace encore avec sa canne, et bien évidemment sa main n'a pas repoussé. Sa barbe lui donne un air plus vieux, sans non plus en faire un vieux patriarche tout chenu. le développement de Carl est encore plus manifeste et plus impressionnant. Les dessins montrent qu'il a réussi à accepter sa défiguration pourtant majeure. En outre, il sourit régulièrement. Comme à leur habitude, les auteurs n'hésitent à grossir le trait. Il est devenu un gentil garçon qui obéit à son papa sans discuter. Il souhaite à tout prix devenir un membre utile et productif de la société. Il a des hésitations de jeune adolescent, pas encore sûr de lui, en particulier quand il parle d'Anna, une adolescente un peu plus âgée qui lui a montré sa poitrine. Son langage corporel atteste qu'il a l'enthousiasme facile.

Si le lecteur se souvient des épreuves que Carl a traversées et de sa soif de reconnaissance, il peut éprouver quelques doutes devant une telle transformation de Carl Grimes. Mais alors il se souvient également que ce garçon idolâtre son père, au point de calquer son comportement dessus. Il est alors assez logique qu'il ait changé de comportement, pour se calquer sur celui de citoyen responsable qu'est devenu son père. le lecteur n'est pas entièrement dupe : il sait très bien que les accalmies ne sont que temporaires, et que tous les éléments montrés dans le récit sont susceptibles de servir par la suite (principe du fusil de Tchekhov). Tout en en étant conscient, il regarde avec attendrissement et une réelle sympathie Carl en train de tailler des statuettes dans des morceaux de bois. Il se souvient même que ce personnage se livrait déjà à cette occupation de nombreux épisodes en arrière. Même en soupçonnant Kirkman de la pire préméditation manipulatrice, il n'est pas possible d'endiguer la vague d'empathie en regardant ces petites sculptures, en constatant que Carl a grandi. Robert Kirkman met en scène ce constat du temps qui passe avec une habileté et sensibilité.

Le père et le fils Grimes sont amenés à se rendre à Hilltop, où ils retrouvent des personnages qui avaient choisi de quitter Alexandria. le lecteur constate qu'il partage le plaisir de Rick Grimes à retrouver Maggie Greene. Il regrette que les événements l'aient écarté loin des yeux et qu'il n'ait pas eu l'occasion de prendre plus souvent de ses nouvelles. C'est la preuve indubitable de la capacité des auteurs à faire exister leurs personnages. Toujours en équilibre entre démagogie et sincérité, Robert Kirkman avait également intégré un nouveau personnage dans l'épisode 53 (octobre 2008) : Eugene Porter, geek dans l'âme, ou en tout cas individu avec un bagage d'études scientifiques, et un handicap prononcé pour la vie en société. le lecteur le retrouve avec autant de plaisir car le sous-entendu est bien qu'il est représentatif d'une partie significative du lectorat de la série en comics, provoquant une identification facile, mais promouvant aussi la caricature du geek. Adlard et Gaudiano montrent qu'il a perdu un peu de poids, et qu'il semble mieux dans sa peau parce qu'il apporte quelque chose de constructif à la société. Alors même qu'il commence à grimacer devant ce stéréotype un peu facile, avec une amélioration un peu grossière, Eugene Porter fait le point avec Rick Grimes de manière honnête, indiquant que son handicap social n'a pas disparu comme par enchantement, loin s'en faut. du coup le personnage retrouve de l'épaisseur, redevient crédible et emporte l'affection du lecteur.

Robert Kirkman n'a pas non plus abandonné la dimension sociale de son récit. La communauté menée par Rick Grimes connaît une ère de prospérité, de relative sécurité et d'expansion. Les enjeux ne sont plus à court terme (survivre à la journée), mais ils sont passés à anticiper et prévoir à plusieurs mois à l'avance. Les auteurs montrent l'organisation de la défense pour éviter la survenance de hordes de zombies, ainsi que la coexistence de 2 communautés, et l'intégration de nouveaux venus. Ils ne peuvent bien sûr pas passer en revue toutes les dimensions d'une société. le lecteur note l'absence de système éducatif, ou de programme de santé, mais cela découle de la contrainte du format, plutôt que d'une incohérence. Robert Kirkman est obligé de faire des choix sur les thèmes qu'il souhaite développer, et il préfère se consacrer au lien communautaire. Il montre que ce qui fait le succès de l'entreprise ou de la vision de Rick Grimes réside dans la participation de chacun à la construction de la société. Chaque personne met ses talents au service de la communauté, et retire les bienfaits de vivre en son sein. C'est une vision simple et cohérente du fonctionnement d'une petite société, ainsi qu'un commentaire sur ce qui assure la cohésion entre plusieurs individus. le lecteur observe ce constat à la fois par le comportement d'Eugene Porter, beaucoup plus épanoui depuis que ses talents servent à quelque chose, et par celui de Carl Grimes, très anxieux de prouver qui lui aussi peut participer au fonctionnement et au développement de la communauté. Cette façon d'envisager le fonctionnement d'une société peut sembler simpliste ; toutefois il ressort comme un principe fondamental pour l'auteur, un principe devant structurer la conception et l'organisation d'une société.

Au bout de 10 ans d'existence de la série, le lecteur se trouve enclin à accorder sa confiance à Robert Kirkman et à ne pas réduire ce principe à une preuve de naïveté. le terrible prisonnier de la zone Alexandria rappelle la face obscure de la société. Avec la décision très courageuse de Rick Grimes à la fin du tome précédent, le scénariste a également montré que cette face obscure ne peut pas être annihilée simplement en tuant ceux qui l'incarnent. En mettant Carl Grimes (et d'autres) au contact de ce prisonnier, il indique qu'ils doivent se confronter à la tentation qu'il représente, à son discours pernicieux, pervers et moralement corrompu. le lecteur peut compter sur Adlard & Gaudiano pour dramatiser chacun de ces face-à-face pour en maximiser l'impact psychologique.

Comme à leur habitude, Robert Kirkman & Charlie Adlard (et Stefano Gaudiano) ne se reposent pas sur leurs lauriers et continuent d'aller de l'avant, d'emmener leur série dans de nouveaux territoires. Ils n'ont rien changé à leur manière de raconter, assez appuyée et faisant usage de moments choc. Ils n'ont pas abandonné leur ambition de parler de l'organisation et des valeurs d'une communauté humaine, questionnements universels dans toute société humaine.
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