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Critique de karmax211


Victor Klemperer naît un peu avant la fin du XIXe siècle dans cette Pologne qui fait partie de l'Empire Allemand. Philologue, il participe à la Grande Guerre, enseigne, écrit des ouvrages sur la littérature française, se convertit au protestantisme avant d'opter pour l'athéisme. C'est un Allemand, bourgeois, marié à Eva, qui mène une vie confortable et épanouie jusqu'au mois de janvier 1933 et l'arrivée d'Hitler et des nazis au pouvoir. Lui qui a toujours été Allemand et peu soucieux des affaires de la religion, se retrouve soudain aux prises avec sa judaïté d'origine, qui fait une quasi- irruption dans sa vie et la fait basculer. Il perd d'abord sa chaire à l'université, ne peut plus enseigner, n'a plus accès aux livres, subit toutes les lois de Nuremberg liées aux Juifs, mais marié à une Aryenne, n'est pas déporté mais relégué dans une Judenhaus, une maison pour Juifs, doit travailler 10 heures par jour dans une usine, subir les brimades, le harcèlement, les menaces et les humiliations de la Gestapo. Car sa vie ne tient qu'à un fil. Un petit faux pas, une humeur amère d'un nazillon, et c'est le camp et la mort. Dans ce contexte, l'homme "asservi" reste libre dans sa tête. L'esclave à la chaîne, obligé de porter à partir du 19 septembre 1941, l'étoile jaune ( " le jour le plus sombre de sa vie" ), tient depuis l'arrivée au pouvoir d'Hitler et de son "clan", un journal, des carnets en fait, où tous les jours ce philosophe philologue, observe, réfléchit, analyse chaque mot, chaque expression de la novlangue au pouvoir. Il se lève à trois heures et demie chaque matin pour accomplir (au péril de sa vie... Eva est chargée de mettre les carnets en lieu sûr)ce travail de témoignage et de résistance avant de se rendre à l'usine. Tous les matériaux dont il peut disposer : ses oreilles à l'usine, dans le tram, la rue, la radio ( peu ), ses yeux et quelques articles de journaux dissimulés, des affiches, des livres clandestins sont la précieuse substance, la matière qui constitue cette extraordinaire somme de résistance, de ténacité, de courage et de volonté que sont ces carnets qui témoignent à travers le temps et pour l'histoire du comment et du pourquoi de ce que fut la LTI ( la Lingua Tertii Imperii ), la langue du troisième Reich... un nouveau langage totalitaire.
"Mal nommer les choses, c'est ajouter aux malheurs du monde", disait Camus. C'est ce à quoi se sont employés les nazis durant 12 longues années , avec la volonté de décerveler un peuple et de l'asservir.
Nous avons tous des exemples de cette LTI qui nous viennent à l'esprit en pensant à cette période. "La solution finale" est l'un d'eux... une expression à première vue assez "banale" qui servit à cacher le plus monstrueux des crimes commis par l'humain. le "Stuck"... ce "morceau", qui servait à désigner en les réifiant les déportés. le " fanatisme" devenu dans la langue totalitaire synonyme d'héroïque et de vertueux. le peuple "Volk" inlassablement martelé : la fête du peuple, le camarade du peuple, la communauté du peuple, proche du peuple, étranger au peuple, issu du peuple, la voiture du peuple ( la célèbre Volkswagen), et le fameux slogan une nation un empire un chef " ein Volk ein Reich, ein Führer... Et puis il y a aussi et en plus l'usage des superlatifs, des mots étrangers, des prénoms "germaniques ou germanisés" donnés aux nouveau-nés, le langage sportif et plus particulièrement celui de la boxe, le vocabulaire "heureux, héroïque, mythifié" des annonces mortuaires pour les soldats tombés au front, le "Juif" untel qui précède le nom de celle ou de celui qu'on appelle et qui doit répondre par "le juif untel est présent"... vous imaginez les conséquences à terme et pour les malheureux Juifs et pour les Allemands-nazis d'une telle pratique...
On pourrait multiplier les exemples, mais votre lecture s'en chargera.
Ce qu'il est bon d'ajouter, c'est que ce journal n'est pas un répertoire, mais un travail philologique vécu dans un contexte décrit, expliqué, ressenti.
Les mots seuls n'auraient pas suffi sans les grandes messes hitlériennes, sans le rituel, les uniformes, les chants, l'annonce des victoires et celles des défaites et de la capitulation...
Victor Klemperer résistant de l'ombre, fait partie intégrante de la grande Histoire et son travail unique et irremplaçable durera plus de mille ans... Oups, voilà que je tombe dans le piège de la LTI. Méfions-nous des mots... ils savent de nous des choses que nous ignorons d'eux, a écrit le Capitaine Alexandre.
Un bouquin qu'il est bon d'avoir lu.
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