Citations sur Amour et ordures (31)
« Kafka s’est efforcé d’être vrai dans son écriture, dans sa profession et dans son amour. […]
Il ne pouvait être en même temps un véritable écrivain et un véritable amant ou, qui plus est, un époux, même s’il le souhaitait ardemment. Pendant de brefs moments, il se laissait aller à l’illusion répétée qu’il pourrait atteindre à l’un et l’autre état et c’est alors qu’il écrivit la plupart de ses œuvres. Mais à chaque fois, redécouvrant la vérité, il demeurait comme paralysé, immobilisé dans la souffrance. Alors, soit il abandonnait son manuscrit pour ne plus y revenir, soit il rompait tous ses engagements en demandant aux femmes qu’il aimait de lui pardonner. »
Jamais je n'ai été si proche de personne, jamais je n'ai connu un être capable de m'être si proche, capable de tant de passion, de tant d'intensité. Peut-êtra avons-nous toute notre vie emmagasiné des forces pour ce temps-ci, pour cette rencontre, c'est vers elle que nous tendions dans nos rêves, vers cette minuscule chambre, vers cet espace maritime où se confondent l'eau, le sable et le ciel, où le temps s'écoule avec une silencieuse pureté...
Pourquoi vivre ? Que pouvais-je lui répondre ? Nous vivons parce que telle est la loi de l’espèce, nous vivons pour transmettre un message dont le sens nous échappe - tant il est incommunicable et mystérieux.
Mais à l’époque je m’étais posé la question : qu’advient-il de l’âme humaine à l’épicentre d’une explosion atomique ?
Tout se transforme peu à peu en détritus, en ordures qu’il faut, d’une façon ou d’une autre, éliminer de ce monde dont rien ne peut être éliminé.
Si tu dois crever, alors crève, au moins ça fera des économies.
Nous ne pouvons nous emparer de la vie d’autrui et, même si c’était possible, nous ne trouverions pas de nouvelle histoire. Le monde compte près de cinq milliards d’êtres humains et chacun croit que de sa vie on pourrait tirer au moins une histoire. C’est une idée qui donne le vertige. S’il naissait - ou plutôt s’il l’on fabriquait - un scribe assez fou pour enregistrer cinq milliards d’histoires et biffer ensuite tout ce qu’elles auraient en commun, que resterait-il ? A peine une phrase par destin, un instant comme une goutte dans la mer, l’expérience unique d’une angoisse ou d’une rencontre, un moment de vision ou de douleur à mais qui pourrait reconnaître cette goutte du dehors, la séparer du déferlement de la mer ? Et il faudrait encore inventer de nouvelles histoires ?
Elle me demanda : tu crois que tout amour est fait de faux espoirs ? Je compris qu’elle m’interrogeait sur nous deux
A un tournant du sentier, je vis apparaître un aide-infir-mier qui poussait un chariot métallique, ce plumier de métal dans lequel on range les morts. Moi aussi, j'avais poussé ce chariot. Je m'écartai de son chemin, mais j'étais obsédé par l'idée qu'il se dirigeait vers le tas d'ordures pour y vider son chargement.
Je retournai au pont de bois.
Tout en bas, le train arrivait à grand fracas, le chapeau se souleva, puis flotta de-ci de-là dans les nuages de fumée.
Papa se mit à rire et je fus soulagé. Nous étions totalement proches, un bref instant de communion qui se dressait au-dessus de nos vies, que rien n'avait effacé ou sali pendant toutes ces années.
Papa se pencha dans les profondeurs, y repêcha le chapeau noirci de suie. Il n'hésita pas à le coiffer, me refit un signe et s'éloigna lentement; il partit en riant.
Papa avait atteint la frontière de ce que sa raison pouvait concevoir, l'angoisse nocturne du trou noir le glaçait - et moi j'étais incapable de le rassurer. Mon cher Papa, comment pourrais-je l'aider, te préserver de l'angoisse de la chute, moi qui n'ai même pas réussi à brûler ta fièvre ? Je ne suis que ton fils, il ne m'est pas donné de te libérer des ténèbres, de libérer qui que ce soit.