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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Tout ce qui est vraiment beau est terrifiant, tout ce qui est terrifiant est beau."
(L. Klíma)

Faire un portrait de Ladislav Klíma et de ses écrits n'est pas un exercice facile.
Quoi qu'on dise de ce "philosophe-clochard" tchèque laissera l'impression qu'on voudrait faire de la publicité bon-marché, afin d'accrocher l'attention des ados rebelles ou des esthètes décadents en mal de vivre. Mais loin de moi cette idée...
Je voudrais seulement prévenir qu'un lecteur non-averti de "Némésis" pourrait être perdu, horrifié, ou même (dans le pire des cas) totalement ennuyé dès le premier chapitre. Mais aussi souligner que tout ce qui pourrait paraître au premier regard comme intentionnellement sensationnel était écrit sérieusement, avec conviction, et surtout... avant les années 20 du siècle dernier.
Certains considèrent Klíma comme un "joyau de la littérature tchèque" (lui, qui disait : "Ce n'est pas une grosse perte que la littérature tchèque ne soit pas "mondiale", cela épargne une grande honte à toute la nation" !), d'autres le détestent cordialement... en tout cas, il est certain qu'il est toujours resté en dehors de tout ce qui était écrit et publié à son époque.
Combien de fois, en lisant un livre, vous arrive-t-il de vous sentir à la fois gênés, horrifiés, amusés et enchantés par un style délibérément archaïsant ? D'avoir l'impression que cette fois, vous êtes en face de quelque chose de complètement "différent"... ?

Ladislav Klíma était avant tout un philosophe, adepte du solipsisme et un homme totalement excentrique, qui pouvait difficilement compter sur la compréhension ou sur l'estime de ses contemporains. Il n'y a qu'une petite poignée de littéraires tchèques (avec, en tête, le grand poète symboliste Otokar Březina) qui le considérait comme un phénomène unique et fascinant, qu'il faut écouter avec attention. Tandis que Nietzsche ou Schopenhauer dispensaient leur philosophie en vivant dans le confort relatif, Klíma la mettait en pratique : il voulait se débarrasser une fois pour toutes de tout l'"humain, trop humain", l'empêchant de s'élever vers des hauteurs divines.
Ses textes se rebellent contre le lecteur au point de se demander, effectivement, si leur auteur était tout à fait "de ce monde".
Avez vous déjà entendu parler d'un écrivain qui passait ses nuits allongé (nu) dans la neige ? Qui s'abreuvait d'éthanol pur en se nourrissant de citrons, de farine, et de viande de cheval crue ? Qui a partagé une souris avec son chat ? D'ailleurs, Klíma aimait les chats... et aussi "les montagnes et les nuages"... et peut-être, à sa façon, aussi les femmes.

"Némésis la Glorieuse" est une fantasmagorie absolue, imbibée d'alcool, et pleine d'aberrations, divagations, folie et mysticisme. Un texte intraduisible, à cause des libertés syntactiques et du style enlevé, mélangé avec des expressions crues qui lui ajoutent une inimitable dimension grotesque.
Mais c'est aussi, si on le veut bien, une histoire d'amour. Je ne sais pas si Klíma était capable d'aimer comme tout un chacun, mais il affirmait que "la plus grande invention pour transformer la boue en or a été faite, et elle s'appelle Amour". Hmm... c'est joli !
L'histoire de Sider et de ses deux "femmes fatales", Orea et Errata, est simple, presque banale : une femme envoûte un homme, et celui-ci veut l'avoir, ou du moins la revoir, si rien d'autre. Mais elle est écrite d'une façon qui vous pousse à douter si le monde qui nous entoure est réel ; si tout cela n'est pas plutôt qu'un rêve, une hallucination, ou accessoirement de la sorcellerie. Ou alors une suite de réminiscences des vies passées, comme la fin de l'histoire et le titre l'insinuent.
Klima ne faisait pas grand cas de ses proses, il laissait ses personnages vivre ce qu'il ne pouvait pas vivre lui-même. Mais la force de son écriture attire et inquiète à la fois : il vous met dans sa poche, et peu vous importe si cette poche est pleine d'immondices visqueux, où qu'elle ne soit qu'un gros trou noir qui mène dans... je ne sais pas exactement où, mais certainement pas vers de vertigineuses hauteurs.

"Némésis" est un ouvrage qui est, depuis sa création, incompris, refusé, passé sous silence. Mais les écrivains comme Klíma le sont à n'importe quelle époque ; quelques tomes de ses "oeuvres complètes" attendent toujours leur éditeur tchèque.
En tout cas, le célèbre groupe controversé d'underground tchèque, The Plastic People of the Universe (leur procès est à l'origine des signatures de la Charte 77, et pendant le régime totalitaire, Václav Havel les aidait à organiser des concerts "au noir") était ravi par la "Némésis", au point de lui consacrer un album du même nom ; une rencontre choc, pour l'année 1979... et en quelque sorte encore de nos jours. Klíma reste une curiosité littéraire dont j'arrive à me délecter, mais cet album des Plastic People est sans doute réservé uniquement aux surhommes. J'ai tenu exactement quatre minutes, ce qui me paraît être aussi une bonne note pour ce livre, alors 4/5.
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