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Citations sur L'ombre de l'autre (2)

[...] ... Un des journaux de la capitale publia la photo de Valmir. Il devint le héros du jour, l'orgueil des jeunes de notre quartier, et moi, quoique privé de la possibilité d'aller au paradis, je ne pus résister à la tentation de me mettre à côté d'un héros et de poser avec lui pour une seconde photo, près de la fosse. Cette photo fut publiée par un journal de jeunes avec la légende : "Valmir A. défie la mort." Je reçus de ses mains cette photo qu'il avait fait agrandir. Je l'encadrai et l'accrochai au mur. A partir de ce jour-là, Valmir se sentit chez nous comme chez lui. Deux mois plus tard, c'est-à-dire deux mois après que j'eus accroché dans ma chambre la photo encadrée où l'on me voyait à côté de Valmir, et depuis qu'il venait chez nous comme chez lui, Abel fut arrêté. Ils l'emmenèrent par une nuit noire, sous la pluie. Nous venions de nous coucher quand nous entendîmes une voiture arriver. C'était une petite voiture noire, semblable à la voiture qui venait chaque jour chercher le père de Valmir pour le ramener plus tard. Je devais la reconnaître ensuite, quand ils repartirent avec Abel. La voiture freina quelque part entre la porte en fer du mur d'enceinte de la villa et la porte de notre cour. Nous nous rendîmes compte que la visite était pour nous quand nous les entendîmes frapper à notre porte. C'étaient deux civils et deux policiers. Il y avait avec eux quelqu'un de notre quartier, dont le visage ne m'était pas inconnu. Abel était en pyjama. On lui donna l'ordre de s'habiller et il alla s'exécuter dans sa chambre accompagné d'un des civils, en casquette et long imperméable bleu lui descendant jusqu'aux chevilles, ainsi que d'un policier. Les deux autres, un policier et un civil lui aussi habillé d'un imperméable, montèrent au premier. Dans le salon, il n'y avait plus que ma grand-mère, l'homme de notre quartier et moi. Le visage de l'homme était d'une pâleur extrême. Silencieux, il regardait ma grand-mère. Il avait l'air si misérable que j'eus envie de pleurer. Ma grand-mère avait glissé ses doigts dans mes cheveux et me les serrait au point de me faire mal. La perquisition dura un siècle. Ce furent le policier et le civil qui étaient en haut qui revinrent les premiers. Le civil portait sous le bras quelque chose comme un paquet enveloppé dans du papier journal. Ensuite, Abel sortit de sa chambre, suivi de l'autre civil et de l'autre policier. Le civil qui accompagnait Abel portait, lui aussi, sous le bras, quelque chose de semblable au paquet du civil descendu du premier. Abel embrassa notre grand-mère. Après l'avoir embrassée, il m'embrassa également et je sentis ses mains trembler. Ce fut alors que je fondis en larmes. Je ne comprenais pas ce qui nous arrivait, pourquoi on venait chercher mon frère en pleine nuit, j'ignorais où on le conduisait, ce qu'il allait devenir, mais j'avais le pressentiment qu'Abel s'en allait pour toujours, que je ne le reverrais plus jamais. Peut-être était-ce à cause de moi qu'Abel avait les larmes aux yeux. Grand-mère aussi. Avant de partir, ils passèrent les menottes à Abel. Je bondis comme un chien enragé sur le policier qui s'acquittait de cette besogne. Celui-ci, embarrassé, me repoussa légèrement. Abel me conseilla d'être sage. Quand ils sortirent, il pleuvait toujours. ... [...]
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[...] ... Cette nuit-là, pour la première fois, je reçus la visite de quelqu'un d'autre que l'Ombre du cimetière. Il était grand, enveloppé dans une cape noire, le visage caché sous un masque figurant une tête de mort. Le visiteur se tint un peu plus loin que ne restait d'habitude l'Ombre du cimetière, taciturne, immobile, debout. C'est en vain que je tentai de lui parler, d'apprendre qui il était. Soit je n'arrivais pas à articuler un mot, en dépit d'efforts surhumains, soit je parvenais à dire quelque chose, mais l'autre ne m'écoutait pas, ou bien il m'écoutait mais refusait de me répondre. Je sentis se poser sur moi son regard pénétrant, je distinguai, à travers les deux trous de son masque, ses yeux étincelants, et je m'assis sur mon lit, le front baigné de gouttelettes de sueur, sous le sombre rayon de lumière qui venait de la lucarne. Je me demandai si j'étais éveillé ou si je rêvais. La porte de ma chambre grinça, quelqu'un sortit, la referma et dans l'air il ne resta que le mot "corde." Il se mit à voleter comme une chauve-souris d'un mur à l'autre, puis alla se pendre à la lucarne. A la fois étonné et terrifié, je vis que la lucarne était munie de lourdes barres de fer. A une des barres, une corde était accrochée, avec un noeud coulant au bout. "Tu dois faire la même chose, te pendre ! Tu dois te pendre ! Tout de suite, sans perdre de temps !" La voix était autoritaire, insupportable, comme un coup de fouet sur chaque partie du corps, qui vous meurtrit et vous ensanglante, qui vous torture, comme un supplice de damné que je n'arrivais plus à endurer, et je pensais qu'il n'y avait pas d'autre issue pour moi que de me pendre. Au dernier instant, je m'adressai à l'inconnu, je voulus savoir qui il était et de quel droit il m'intimait cet ordre. Pour toute réponse, je n'obtins qu'un rire. Ainsi qu'un "Devine !" prononcé sur un ton menaçant et narquois ... [...]
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