On pourrait dire que toutes naissances imposent aux parents un travail de deuil car l'enfant qui naît n'est jamais conforme à l'enfant souhaité. Tous les parents rêvent d'un avenir grandiose pour leurs enfants et tous les enfants vont inévitablement les décevoir dans leurs illusions et amener leurs parents à les accepter tels qu'ils sont, avec leurs insuffisances et leurs limites, mais aussi avec leur propre personnalité. S'il faut renoncer à l'image idéale de l'enfant imaginaire, l'enfant réel apporte d'autres joies.
L'enfant handicapé envoie à ses parents une image déformée, tel un miroir brisé, dans laquelle ils ont du mal à se reconnaître, et partant, à reconnaître l'enfant attendu, l'enfant qui se situe dans leur filiation et qui doit les perpétuer après leur mort. Cet enfant-là est loin, très loin, de l'enfant espéré. Loin de l'enfant que tous les parents ont porté en eux pendant les neuf mois de la grossesse, et rêvé depuis bien plus longtemps encore. Loin de" Sa majesté le Bébé", dont nous parle Freud, à savoir l'enfant merveilleux qui doit réaliser tous les souhaits secrets des parents et réparer leurs blessures anciennes.
Les enfants handicapés ne seront jamais comme les autres. Pourtant ils demandent ou leur parents demandent pour eux à vivre parmi les autres Il ne s'agit pas de nier la différence de cet enfant-là, ni de méconnaître les difficultés spécifiques liées à son handicap. Il ne s'agit pas non plus de minimiser les obstacles à franchir pour accueillir ces enfants dans les structures de la petite enfance.
La pire des souffrances est celle qui ne peut se dire, être entendue et partagée. La plus troublante étrangeté est celle qui ne peut être nommée.
Tout être aussi marqué soit-il par la fatalité est un être en devenir.
[...]
Tout être humain aussi démuni soit-il a une conscience de sa singularité qu'il cherche à faire reconnaître.
Tout comme ses parents, l'enfant est confronté à un travail de deuil : deuil de sa normalité, de son intégrité, de son autonomie. Il doit renoncer sans arrêt.
Etant donné que le handicap évoque toujours une image de castration, on peut même penser que les pères sont plus blessés dans leur propre image narcissique, puisque le handicap les affect plus spécifiquement dans leur intégrité masculine.
Lorsque les pères sont écoutés, cependant, ils ont tant à dire ... Leur souffrance n'est en rien moindre que celle des mères. Et leur solitude aussi vaste, plus vaste peut-être, à cause du rejet des institutions et de l'image sociale d'une virilité qui n'aurait pas droit aux larmes. La douleur d'un homme paraît incompatible avec l'imago paternelle traditionnelle. La vulnérabilité masculine bouleverse l'image conventionnelle, mais profonde, de la virilité. Bref, le problème n'est pas tant que les pères auraient moins à dire sur leur enfant handicapé, ni qu'ils seraient moins affectés, mais que les équipes ont plus de réticences à entendre leur souffrance.
Les enfants handicapés ne seront jamais comme les autres. Pourtant ils demandent ou leur parents demandent pour eux à vivre parmi les autres Il ne s'agit pas de nier la différence de cet enfant-là, ni de méconnaître les difficultés spécifiques liées à son handicap. Il ne s'agit pas non plus de minimiser les obstacles à franchir pour accueillir ces enfants dans les structures de la petite enfance.
Notre identité nous paraît évidente et acquise. Mais, en vérité, elle reste toujours fragile, paradoxale et contradictoire. L'identité est le fruit d'un long processus : elle se constitue dans un douloureux mouvement d'assimilation et de rejet, d'introjection et de projection d'éléments venant d'autrui et du monde extérieur, que nous intériorisons afin de les faire nôtres. Malgré cette tendance à l'intégration, nous sommes composés d'éléments qui gardent leur caractère d'étrangeté. […]
On préfère ignorer la précarité de l'identité, parce qu'on ne veut pas remettre en question cette construction si durement acquise et toujours si fragile. Tout ce qui fait chanceler l'illusion de l'unité et de la totalité de la personne est une menace, et suscite donc des défenses. C'est pourquoi on s'accroche aux éléments de son identité, les particularismes ethniques, religieux, nationaux, etc. On voit actuellement, dans le monde, des exemples dramatiques qui montrent à quel point la pensée identitaire peut être mortifère, lorsqu'elle cède à la tentation de la totalité. L'identité de l'un invalide alors celle de l'autre, ce qui conduit à l'exclusion, au racisme et au meurtre. Contrairement aux idées reçues, plus on se croit assuré de son identité, plus on est intolérant à l'égard de l'identité de l'autre. Il faut accepter la part d'étrangeté en nous, dont Freud a montré qu'elle est présente en chacun, afin d'accepter la part d'étrangeté de l'autre.
J'aimerais me saisir des paroles d'Edmond Jabès : « Qu'est-ce qu'un étranger ? – Celui qui te faire croire que tu es chez toi. »