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Critique de florigny


Surnommé l'oeil de Tchernobyl, Igor Kostine est le premier photographe à avoir survolé la centrale éventrée le 26.04.86. Il n'a pu sauver qu'une seule photo, la première, probablement protégée par le rouleau de la pellicule, toutes les autres ayant noirci en raison des radiations. Cette photo malgré la censure de son pays, est planétairement connue. C'est l'unique cliché au monde, pris le jour de l'explosion.


Dans cet ouvrage publié en 2006 par les Editions des Arènes, la mise en page est aussi grave que la catastrophe évoquée : texte imprimé en blanc sur fond noir, liseré blanc, comme un faire-part de décès inversé. Igor Kostine raconte les faits chronologiquement, sans sensationnalisme. Il décrit le travail des liquidateurs. Armés de pelles, équipés de protections archaïques, on leur promet salaires extravagants et datchas. Ils doivent se contenter de vodka en quantité illimitée. La plupart sont morts ; les rares survivants sont gravement malades. le pouvoir n'a jamais reconnu officiellement leur sacrifice.


Les photos rassemblées dans cet ouvrage sont poignantes, sobres, pudiques et respectueuses. Elles montrent des hommes que l'on pourrait prendre pour des sidérurgistes, des mineurs, sauf qu'ils se trouvent sur un site apocalyptique, fait de béton effondré, d'acier tordu par la chaleur. Elles montrent Pripiat, ville modèle, l'une des plus jeunes d'URSS, construite dans les années 70 pour loger le personnel de la centrale. Pripiat comptait 47 000 habitants dont 17 000 enfants en 1986. Les photos du Luna-Park, de la piste des autos-tamponneuses à l'abandon, parlent mieux et plus fort que n'importe quel discours pour dire le cours de la vie interrompu. Elles montrent l'arrivée du printemps 87, un verger en fleurs, la nature se montrant particulièrement luxuriante, tentaculaire et généreuse quand elle est radio-activée. Les pommes de Tchernobyl sont réputées pour leur taille exceptionnelle, les poissons-chats aussi, longs d'un mètre vingt. Elles montrent les cimetières à ciel ouvert de tous les matériels, hélicoptères, camions, voitures, engins militaires, abandonnés parce que plus contaminés que le reste (la tôle absorbe très bien les radiations), dépouillés de tout ce qui peut être revendu sur des marchés parallèles. Aucun voyeurisme. Seules, deux photos explicites montrent les mutations génétiques subies par un jeune enfant et un poulain à 8 pattes.


Mais c'est surtout sur les Samosioly, “ceux qui se sont installés d'eux-mêmes”, qu'Igor Kostine s'attarde le plus longtemps et avec le plus de tendresse. Au fil de ses séjours à Tchernobyl, ils sont devenus ses amis. Ils sont rentrés dans leurs maisons pillées quand leur village n'a pas été enterré, vivent de leurs potagers, de la chasse, le gibier étant revenu en abondance depuis la disparition de son seul prédateur, l'homme. Les Samosioly sont nés là, et mourront là. Igor Kostine est quant à lui décédé en juin 2015. Ce reporter photographe qui a couvert des guerres et affronté le feu nucléaire, endommageant définitivement sa santé pour témoigner, a perdu la vie à l'âge de 78 ans, dans un accident de la route.
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