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Critique de Julaye30


Peu de temps avant de recevoir ce livre, je suis tombée sur une interview d'Elena Kostioutchenko. Pendant dix-sept ans, la journaliste russe a réalisé des reportages pour Novaïa Gazeta, principal journal indépendant en Russie, créé au début des années 1990. Impressionnée par son courage, j'avais envie d'en savoir plus sur son travail et je remercie l'équipe Babelio et les éditions Noir sur blanc de m'en avoir donné l'opportunité.

Au début du livre, une chronologie concise permet au lecteur d'avoir une vue d'ensemble sur le sujet et un cadre pour comprendre la suite. J'ai été véritablement emballée par le début du récit d'Elena Kostioutchenko. Son écriture est agréable et sensible lorsqu'elle partage avec le lecteur quelques-uns de ses souvenirs d'enfance. Née en 1987, elle a grandi dans une période de bouleversements marquée par l'effondrement du système soviétique. À travers son regard de petite fille, le président Eltsine apparaît comme « un méchant » responsable des malheurs de sa mère qui cumule plusieurs emplois puisque les salaires ne sont plus versés. Cette manière d'aborder la perception des informations à hauteur d'enfant m'a beaucoup plu.

Elena commence à travailler très jeune, elle récure des planchers. À quatorze ans, elle écrit dans un journal local. En découvrant des articles de Novaïa Gazeta, elle a une prise de conscience : « J'étais fière d'écrire sur des sujets d'adultes et je me considérais comme une journaliste. Puis, par hasard, j'ai acheté un numéro de Novaïa Gazeta. Je l'ai ouvert sur un article à propos de la Tchétchénie. On parlait d'un gamin qui interdisait à sa mère d'écouter des chansons russes à la radio. Parce que les militaires russes avaient emmené son père, puis avaient rendu son cadavre avec le nez coupé. Dans l'article il y avait les mots «nettoyage», «point de filtrage». Dans le village de Mesker-lourte les militaires ont tué trente-six personnes. Ils ont crucifié un homme (il a survécu), transpercé ses mains avec des clous. L'article était signé : Anna Politkovskaïa. Je suis allée à la bibliothèque de l'oblast et j'ai demande la collection des Novaïa Gazeta. Je voulais voir les articles d'Anna Politkovskaïa. Je les ai lus. Il me semblait que je commençais à avoir de la fièvre, je touchais mon front mais il était froid, humide, mort. J'ai compris que je ne savais rien de mon pays. Que le poste de télé m'avait menti. »

Devenue journaliste pour Novaïa Gazeta, Elena Kostioutchenko dresse un portrait de son pays en allant à la rencontre des habitants : des jeunes désoeuvrés de la Khovrinka (hôpital inachevé devenu un lieu de squat), des habitants sur la ligne de train Moscou-Saint-Petersbourg, des prostituées, des homosexuels, des Nganassanes... La journaliste parle aussi de Nornickel, des guerres ou de la stérilisation forcée de femmes dans des instituts accueillant des personnes ayant un « retard mental ».

Je dois dire que j'ai eu un peu de mal à me repérer dans le récit qui entremêle souvenirs personnels et témoignages issus de ses reportages. Cela m'a semblé un peu décousu par moments. le contexte dans lequel la journaliste a fait ses rencontres n'est pas toujours introduit et les sauts temporels m'ont un peu perturbée dans ma lecture. Je n'ai pas tout de suite compris les liens entre les différents chapitres. Je pense que si ce livre avait été construit de manière chronologique, j'aurais beaucoup aimé cette lecture. C'est cela dit un ouvrage très intéressant.

J'ai ressenti beaucoup d'émotions lorsqu'elle évoque ses collègues de Novaïa Gazeta : « Les photos d'Igor Domnikov, de Iouri Chtchekotchikhine, d'Anna Politkovskaïa, de Stanislav Markelov, d'Anastassia Babourova, de Natalia Estemirova sont accrochées au mur au-dessus de la table de réunion. Chaque fois qu'on y ajoutait un nouveau portrait, nous faisions en sorte qu'il n'y ait pas de place pour un autre. Quand on ne peut pas se protéger ni protéger les siens, on devient superstitieux. Mais les meurtres survenaient quand même, les visages en noir et blanc se rapprochaient, il y avait toujours de la place pour un visage de plus. » le journal est aujourd'hui interdit en Russie.
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