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Critique de Laurence64


Alouette, gentille alouette, alouette, je te plumerai…

Nul besoin de plumer cette alouette-là. Plumée par la vie dès la naissance, Alouette est une aimable potiche utilitaire et non décorative. Alouette est un laideron. Un laideron ayant dépassé l'âge de se marier et dont nul prétendant jamais ne voudra. Un vrai laideron dont personne n'avoue la disgrâce physique. Un laideron de presque trente-six printemps.
Alouette, gentille Alouette, Alouette, tu es déjà plumée...

Mais personne n'ose dire la plumaison initiale. Et les vilaines conséquences d'arborer un si moche plumage. Condamnée au célibat, Alouette n'a pas d'autres perspectives que de lisser quelques rémiges anémiques entre ses deux parents aimants jusqu'à la fin de leurs jours.
Il n'y aurait pas de quoi fouetter un chat, plumer une oie ou faire un roman n'était la plume remarquable d'un Dezsö Kosztolányi et son talent de conteur de vie humaine. Si l'existence banale ne virait à la tragédie.

Un évènement va bouleverser l'existence réglée du triste trio affectueux. Alouette est invitée chez un oncle. L'oiseau provisoirement envolé, le nid s'ébouriffe ailleurs. La semaine sans rejeton ingrat ouvre le temps d'une liberté nouvelle: on va au restaurant, au théâtre, on joue du piano, aux cartes, on boit. Mais surtout s'ouvre le moment d'une insoutenable prise de conscience : le malheur des Akos, malgré tout leur amour, c'est Alouette. «Elle est laide, elle est laide et rien d'autre, a dit Akos presque avec volupté, elle est laide et déjà vieillie, la pauvre, aussi laide que ça, il a fait une grimace affreuse en tordant sa bouche et son nez, aussi laide que moi.»
Alouette, gentille Alouette, Alouette tu nous as plumés…

Lorsque l'oiseau revient à tire-d'aile, il a enlaidi dans la graisse nouvelle. Il est aussi plus malheureux.
La parenthèse se ferme. On va s'aimer entre soi. de part et d'autre, on anesthésie la souffrance dans le quotidien étriqué.Tout rentre dans l'ordre parce que l'obsession, même celle du malheur, est confortable. Elle donne une raison d'être.
Watzlawick a rédigé un essai sur la résistance au changement. Bien avant lui, Kosztolanyi a écrit un petit roman cruel et tragique d'une écriture aussi humoristique que meurtrière.

Ce petit oiseau hongrois qui prête à rire et à pleurer a sa place dans la volière où rêvent mes livres, la nuit venue.

Alouette, gentille Alouette, Alouette jamais je ne t'oublierai.
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