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Critique de Gilpro


a “ville dans le miroir”, récompensée par le prix Vladimir Nazor du meilleur roman croate de l'année, le prix August Šenoa de la Matica hrvatska, le prix Meša Selimović de la Ville de Tuzla pour le meilleur roman serbe, croate, bosnien et monténégrin, et le prix “13 juillet”, plus haute récompense littéraire du Monténégro, occupe une place à part dans une oeuvre généralement qualifiée de post-moderne. Il s'agit en effet d'un récit autobiographique plutôt que d'un roman, que l'auteur sous-titre « Nocturne familial », tant sa famille regorge de zones d'ombre et de personnages ténébreux. Un récit que l'auteur a longtemps porté, remanié, renié puis repris, allant même, il y a de nombreuses années, jusqu'à retirer l'ouvrage de l'imprimerie à la suite d'un cauchemar.
La ville en question, c'est Dubrovnik, à quelques kilomètres de laquelle est né l'auteur, et qui, dans son enfance, exerçait sur lui une fascination quasi mystique. Elle nous vaut une longue et splendide narration d'une déambulation de l'enfant en quête de son père, commerçant pauvre, bohème et philosophe, une fois de plus disparu dans cette ville qui, régulièrement, “grâce à quelque sorcellerie, le capturait et séquestrait”. Ce qui n'empêche pas Kovač de se gausser des “ragusades” des “grands hommes” d'ex-Yougoslavie, mais aussi de membres de sa famille, qui s'inventaient une filiation avec la cité prestigieuse.
En nous offrant cette galerie de personnages, certains en détails et d'autres esquissés, les uns attachants, les autres médiocres, voire mauvais, l'auteur s'en tient aux faits, refusant tout pittoresque, s'interdisant même l'émotion qui n'en jaillit pas moins à chaque page, notamment celles, merveilleuses, qu'il consacre à son institutrice ou à l'accouchement de sa mère dans un train, pour culminer dans sa dernière rencontre avec le père, dont il découvre enfin la richesse intérieure dans le sanatorium où celui-ci attend placidement la mort.
Un tableau tendre, mélancolique, sans complaisance – et sans autocomplaisance – des premières années de la Yougoslavie titiste, infiltré de brèves réflexions sur la littérature et l'existence, empreint de la pensée que “notre vie n'aura pas été ce que nous avons vécu, mais ce dont nous nous souvenons.” Mais en plus et surtout, un grand moment de littérature, où un écrivain majeur fouille ses racines en quête des sources de son inspiration.

Décédé il y a quelques mois, Mirko Kovač était un des grands noms de la littérature d'ex-Yougoslavie, revendiqué à la fois par la Croatie où il s'était établi après avoir dû fuir le régime de Milošević, la Serbie où il avait passé la majeure partie de sa vie, le Monténégro où se situe aujourd'hui sa ville natale, et la Bosnie-Herzégovine où elle se situait lors de sa naissance. Kovač est un phénomène : quasi systématiquement condamnées par la critique communiste pour leur vision sombre du monde et leur farouche individualisme, ses oeuvres n'en ont pas moins obtenu tout ce qui compte en fait de prix littéraires ; l'une d'elles s'est même vue privée d'un prix obtenu l'année précédente avant d'être retirée des bibliothèques et des librairies. Il a été traduit en de nombreuses langues et a obtenu deux prix internationaux importants pour l'ensemble de son oeuvre (le prix Tucholsky du PEN-Club de Suède en 1993 et le prix Herder en 1995, au palmarès duquel il figure au côté d'auteurs comme Milan Kundera ou le Nobel Imre Kertész). Il est également l'auteur de scénarios de films, dont un présenté à Cannes et primé dans des festivals internationaux. Une longue et prophétique interview dans Libération l'avait révélé en 1992 au public francophone et deux de ses ouvrages ont paru précédemment en français aux éditions Rivages.
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