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Critique de SPQR


'Les Morts' raconte à travers quelques personnages allemands, suisses, anglais, japonais, américains et français, un certain bouillonnement culturel dans les années 1930. le réalisateur encore débutant Emil Nägeli est envoyé réaliser un film muet au Japon par une firme allemande, pour damer le pion aux producteurs américains et créer un "axe celluloïdique" entre Tokyo et Berlin. Une collaboration ratée, mais pourtant annonciatrice d'un rapprochement politique lors de la Seconde Guerre mondiale.

C'est sur cette toile de fond que se déploie tout le talent de Christian Kracht : traiter de l'Histoire par la marge et l'anecdote, comme il l'avait fait dans l'excellent 'Imperium', le récit de la fondation d'une communauté cocovore sur une île du Pacifique Sud par un Allemand quelque peu illuminé. On retrouve dans 'Les Morts' cette distance inhabituelle entre un auteur et ses personnages, souvent grotesques mais tout de même attachants. Dont forcément, les actes et les petites compromissions prennent un sens autre au regard du destin qui se dessine alors pour l'Europe et le monde, à quelques années de la Seconde Guerre mondiale.

Construit en trois parties, sur les principes du théâtre japonais Nô, 'Les Morts' déroule ainsi des vies à travers l'habitus et l'objectal : plus que leur psychologie, c'est ici les actes et comportements des personnages, leur rapport à leur environnement direct et les détails qui pourraient paraître les plus insignifiants de leur vie, qui semblent ici les plus éloquents - une manière très intelligente et tout à fait désespérante d'évoquer l'humanité, souvent réduite à sa trivialité. D'autant que Kracht ne nous donne pas non plus en pâture ses personnages : il nous les décrit comme il se décrirait sans doute, créature agitée ayant un pied dans le berceau, l'autre dans le tombeau.

De ce livre se dégage une grande originalité, pas mal d'ironie et de cynisme, et des images évoquant finalement plus la photographie ou la peinture - j'ai eu la sensation de me retrouver dans des tableaux d'Otto Dix ou de George Grosz parfois, lors des scènes présentant "l'élite" allemande de l'époque notamment - que le cinéma. Ajoutez-y une pincée de mystique et un portrait égratignant la réputation de quelques stars de l'époque (Charlie Chaplin en tête), et vous obtenez l'un des livres les plus intéressants que vous pourrez lire cette année - et même sûrement la prochaine.

Un roman qui a un seul défaut : sa brièveté. J'attends maintenant avec impatience la traduction de 'Faserland', toujours prévue chez Phébus.
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