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Critique de berni_29


Et si Kafka n'était pas mort de tuberculose et enterré à Prague en 1924 ? Et s'il avait survécu, était parvenu jusqu'en terre d'Israël, était devenu jardinier, avait fini ses jours là-bas tranquillement, sous le soleil et auprès des arbres jusqu'aux années soixante... ? Qu'en pensez-vous ? Idée saugrenue ? Osée ? Candide ? Irrationnelle ? Fantastique ? Ou peut-être un rêve tout simplement, qui sait ? Pourtant, pourtant...
Ce rêve germe, éclot, dans le roman que je viens d'achever, Forêt obscure, dernier roman de Nicole Krauss. Un rêve, bien plus qu'un rêve, une idée folle, peut-être vraie après tout, puisqu'un homme y croit follement, confiant ce récit à la narratrice, convoquant l'enfance et le voyage, puisqu'il est question d'un manuscrit mystérieux... Bon, ce n'est pas l'essentiel du livre mais comme je suis un inconditionnel de Kafka, cette idée m'a totalement séduit...
Forêt obscure est un livre complexe, onirique, terriblement exigeant, mais ô combien bienfaiteur. J'aime l'univers dans lequel Nicole Krauss invite ses lecteurs, m'a entraîné dans cette histoire. C'est le premier livre que je lis de cette auteure. C'en est déjà son quatrième roman. Comment suis-je venu à découvrir cette auteure ? Par hasard, en écoutant la comédienne Léa Drucker lors d'une émission de radio, évoquer quelques-unes de ses lectures consolatrices...
Le titre de ce livre provient d'une citation de Dante : « Au milieu du chemin de notre vie, je me retrouvai par une forêt obscure ».
Qu'advient-il lorsqu'on a perdu son chemin dans la vie ? Deux histoires avancent, se répondent, celle de Jules Epstein, sexagénaire millionnaire américain saisi d'une crise mystique et souhaitant disparaître dans le désert et celle de Nicole, une écrivaine américaine, ressemblant sans doute de très près à l'auteure, qui doit affronter le naufrage de son mariage. Qu'ont-ils en commun, ces deux-là, à part la fuite de deux êtres qui ne supportent plus leurs vies new-yorkaises ? À part un itinéraire les amenant vers Tel-Aviv ? Sans doute arrivent-t-ils tous deux à un tournant de leur vie... Leur point de départ de cette nouvelle existence : l'hôtel Hilton de Tel-Aviv, immense bloc de béton affreux et moderne posé en bord de mer. Pourtant c'est ici, dans cet endroit laid qui défigure le paysage que la narratrice se souvient d'un épisode merveilleux, inoubliable de sa vie, au bord de la piscine de cet hôtel lorsqu'elle avait sept ans...
Happés par le fantasme de la disparition, ils s'abandonnent alors à leurs incertitudes.
Qu'attend-on de la vie à soixante ans, ou à quarante ans, homme ou femme, lorsque le bilan de ce qui est derrière nous s'avère pauvre, fade, amer en définitive. Lorsqu'il manque quelque chose d'essentiel... Pas forcément totalement fade, mais disons qu'on en attendait peut-être un peu plus... Ou peut-être n'avons-nous pas fait l'effort, trouver le temps, pour accorder à notre vie les chemins et les respirations nécessaires...
Comment saisir ce qui n'a jamais été atteint ? La grâce, le bonheur de se retirer du monde, recommencer peut-être, ou du moins renaître ailleurs...
J'ai appris tout récemment que l'origine du mot crise n'était pas si négatif que cela et puisait dans son étymologie grecque une idée de métamorphose et de rebond, une chance de changer peut-être alors...
Ici, Jules Epstein et la narratrice sont en état de crise et c'est sans doute la meilleure chose qui peuvent leur arriver à ce moment précis de leurs vies respectives... Ils sont en mue... Sans doute les anciennes vies ne sont pas inutiles, mais au contraire nécessaires pour accomplir cette mue...
Forêt obscure, c'est peut-être une forêt intérieure où se perdre, lorsqu'on a déjà perdu beaucoup de choses dans sa vie, à commencer par l'essentiel. Se perdre, s'effondrer, s'écrouler... Les forêts intérieures sont des forêts abyssales. Mais comment sortir de cette forêt obscure ? À tâtons peut-être, ou peut-être ne jamais en sortir, errer, s'inventer d'autres espaces loin du bruit du monde.
En définitive, il y a ici beaucoup de choses et c'est ce que ce livre nous révèle, convoquant dans un même prisme la judéité, le deuil, le poids du passé, le devoir de mémoire, la créativité, l'invention de soi-même et le sens de la vie, carrément...
...Jusqu'à la fin, jusqu'à ce voile qui se lève aux toutes dernières pages...
Comment écrire, réécrire nos vies...? Comment changer le cours des choses...? Parfois, dans ce roman on se croirait presque dans un polar philosophique.
L'écriture est plus que belle, elle est magnifique, envoûtante. Elle nous emporte au-delà des pages.
Je ressors de ce livre étonné par quelque chose de beau, de mystérieux, de complexe, de fascinant et c'est la raison pour laquelle j'ai peut-être un mal fou à vous en parler.
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