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Critique de domi_troizarsouilles


Nouveau livre lu dans le cadre du Prix Livraddict, catégorie Fantasy : sans que ce soit tout à fait un coup de coeur, je peux dire que je suis séduite ! Il y a certes quelques petits bémols, mais à part ça, j'avais déjà pris goût à la plume de Jay Kristoff, dans l'exceptionnel premier tome de « Illuminae » (j'ai acheté les suivants, mais pas encore lus). Certes, ici on est dans un autre genre, et le livre a été écrit en solo alors qu'Illuminae est un livre à quatre mains. Néanmoins, j'y ai retrouvé plusieurs éléments qui m'avaient tant plu, j'y reviens.

Commençons cependant par ces fameux bémols, et avant tout par un détail livresque très terre-à-terre, qui n'a pas gâché ma lecture en tant que telle, mais qui m'a quand même bien agacée : il semble que j'ai découvert ce livre un peu trop « tard ». En effet, il est vendu soit en version reliée avec une magnifique couverture, soit en version brochée avec une couverture… qui me plaît nettement moins ! Hélas, la couverture reliée a été publiée en nombre limité, et est désormais introuvable – du moins en français, alors qu'elle est toujours disponible en anglais ou en traduction allemande, par exemple ! Alors, pourquoi la traduction française en version reliée est-elle déjà épuisée ??
C'est clairement une pure affaire commerciale, mais pour le coup l'éditeur De Saxus est trèèèèès décevant !

J'en viens maintenant au contenu et à ce qui représente le vrai gros bémol à mes yeux : comme dans tant d'autres livres du genre, on a ici des héros très jeunes, à peine ados même s'ils ont la plupart du temps un comportement plutôt proche du « young adult » - ce qui, en soi, pose déjà question. Certes, on est dans un monde tout à fait imaginaire, mais sérieusement : vous imaginez nos jeunes boutonneux désinvoltes de 16-17 ans évoluer à la façon de nos héros ? Ou alors on est dans un énième monde très vaguement inspiré du Moyen-Âge, où l'on était adulte avant 14 ans ?... ce n'est pas l'impression générale que j'ai eue ! On est certes dans un monde original, vaguement inspiré d'époques plus anciennes et politiquement sombres de notre histoire (que je n'ai pas cherché à identifier) et effectivement il n'y a aucun élément qui pourrait rattacher le lecteur à une époque plus actuelle (comme des téléphones portables ou ce genre de choses), mais par ailleurs, l'auteur souligne bien, à un moment donné, que dans le monde de Nevernight, on ne peut devenir soldat qu'à 18 ans accomplis… Alors ?
En outre, oui : l'essentiel de l'intrigue se passe dans une école (si on peut l'appeler ainsi), mais ne peut-on pas se former à tout âge ? Pourquoi tous ces candidats assassins, qui viennent d'horizons bien différents en plus et pour des raisons propres bien différentes (on est très loin d'une école à la Harry Potter où on est convoqué à 11 ans, point !) ; bref, pourquoi sont-ils tous de ce même âge, pas encore tout à fait sortis de la puberté ? Était-ce si difficile de mettre en scène parmi eux l'un ou l'autre adulte plus âgé, qui après un quelconque revers de la vie aurait lui/elle aussi décidé de rejoindre une telle école ?
Le pire, c'est que ce livre nous est présenté comme adressé à un public adulte, et il était bel et bien vendu au rayon adulte de ma librairie. Pour ma part, je ne suis pas 100% convaincue de cette classification, il y a comme une légère déviation de public-cible, en tout cas je ne me suis pas sentie tout à fait concernée. Ou alors, il est adressé à des adultes-mais-pas-trop-vieux-quand-même ? (ce que je ne suis plus) Oh ! je l'ai déjà dit pour d'autres livres : je n'ai pas forcément besoin de m'identifier aux héros, mais quand la majorité de ceux-ci, y compris l'héroïne principale et ses plus proches amis, sont si jeunes, alors que les quelques adultes qui les entourent sont tout sauf des « modèles », j'ai parfois un peu l'impression de voir des gamins s'agiter dans un jeu dont je ne comprends absolument plus les règles – et qui dès lors ne m'intéresse pas vraiment…

Et pourtant !
Et pourtant, je me suis complètement laissée embarquer, grâce à la plume magique de Jay Kristoff. On peut sans doute en dire beaucoup de choses, la décortiquer etc. ; pour ma part, je résumerai en peu de mots : c'est tout simplement un formidable conteur ! Il fait ce que tant d'auteurs oublient parfois de faire : il nous raconte une histoire qui tient la route, tout simplement. Sans grands effets de style, sans vocabulaire extrêmement recherché mais de bon niveau quand même, il parvient à entraîner son auditoire, pardon, ses lecteurs, au coeur de ce monde improbable où trois soleils alternent en n'offrant que des non-nuits (ah cette traduction bien ingénieuse de nevernight !) pour de trop rares vrainuits, au coeur de cette montagne qui abrite une terrible école d'assassins, pour lesquels on se prend pourtant d'affection… ou au contraire dont on se méfie, selon ce que l'auteur veut bien instiller. Ils sont (presque tous) jeunes mais pas forcément beaux, ils ont des talents particuliers et parfois même repoussants, et pourtant on est captivé par leur histoire.
En outre, c'est une histoire pleine de rebondissements, qui n'ont pas tous la même valeur captivante mais qui entretiennent le suspense malgré tout, et un fameux retournement – quelques indices étaient pourtant disposés çà et là, mais j'ai quand même été soufflée… comme dans ces Policiers (mon genre préféré) bien faits, où on reste bouche bée quand le meurtrier est révélé, et qu'on se rend compte l'instant d'après qu'il y avait partout ces petits cailloux blancs qui menaient bel et bien à lui, mais qu'on ne les avait même pas vus !
Et si vous avez encore un doute, lisez juste le chapitre 1… probablement l'un de mes préférés, vraiment du grand art !

À côté de ça, l'auteur utilise quelques-uns de ces « trucs littéraires » qui marchent… ou pas ; moi j'ai été convaincue. On a d'une part l'alternance entre l'intrigue en elle-même, et l'évocation du passé de notre héroïne Mia, ce qui l'a conduite à choisir de rejoindre cette école d'assassins. le tout est présenté de façon assez classique : quelques pages en italique au début d'un certain nombre de chapitres (mais pas tous) marquent le passé de Mia, tandis que la narration même s'enchaîne en caractères normaux « regular ». La distinction est donc très visuelle dans un procédé qui n'a rien de nouveau ; néanmoins, il joue bien son rôle de mener le lecteur sur deux tableaux sans le perdre, au contraire, les choses s'éclairent ainsi petit à petit ; en outre, ça permet de donner rythme, de « casser » cette narration qui, autrement, avant le retournement précité du moins, aurait peut-être paru trop linéaire.

Mais Jay Kristoff ne s'est pas contenté de ça ! Il a aussi pris un risque… que tous les lecteurs n'ont pas apprécié : sachant que j'ai lu ce livre en lecture commune, j'ai pu constater que ça a gêné la plupart de mes co-lecteurs, et c'est une remarque qui est ressortie dans pas mal des autres commentaires que j'ai lus çà et là ; bref, il a pris un vrai risque, en altérant la forme d'un simple roman. Certes, on est loin d'une mise en page à la « illuminae » ; néanmoins, la technique n'est pas courante dans un roman, et est même généralement rédhibitoire. Et pourtant (encore une fois), ça marche !
Vous l'avez compris : je parle de ces nombreuses notes de bas de page dont l'auteur n'a cessé de parsemer son texte. Dans les premières pages, on tâtonne un peu et on se demande pourquoi il nous embête avec ça… mais peu à peu, on entre dans son jeu, car on comprend que c'est là que se développe dans toute sa splendeur le monde dans lequel évoluent les personnages. C'est là que l'auteur expose un certain nombre de faits, d'anecdotes passées relatives à son monde, qui permettent de l'appréhender de mieux en mieux. Mais ce n'est pas tout : en fait, j'ai lu que pas mal de lecteurs, hérissés par le concept même de notes de bas de page, ont fini par ne plus les lire… eh bien, ce n'est pas grave ! Il se trouve que ces notes ne sont jamais tout à fait indispensables à l'intrigue – et c'est bien là tout le tour de force du romancier : de réussir à écrire toutes ces notes (qui, ensemble, font certainement plusieurs pages quand même), sans que ça dérange vraiment la lecture, sauf pour ceux qui y sont restés hermétiques. Et justement : celles et ceux qui ne les ont pas lues n'ont rien perdu de l'intrigue, mais ont peut-être manqué quelque chose de l'esprit du livre. Car c'est dans ces notes que, de façon plus évidente encore que dans l'intrigue même, l'auteur déploie tout son talent – en y ajoutant presque systématiquement une touche d'humour, qui relativise le côté très sombre de l'histoire par ailleurs (un peu comme un copain viendrait nous poser sa main sur l'épaule en nous disant, le sourire aux lèvres : t'inquiète, ce n'est pas si grave que ça !) ; c'est là qu'il s'adresse au lecteur tantôt comme à un complice qui aurait partagé les mêmes cours d'histoire de ce monde, tantôt comme à un privilégié à qui il fait le plaisir d'en savoir un peu plus, comme un griot raconterait des histoires autour du feu jusqu'au bout de la nuit, tandis que les enfants fatigués sont déjà partis se coucher, et que seuls restent ceux qui luttent contre la torpeur mais veulent à tout prix savoir… Et ainsi, petit à petit, on se réjouit, même, de ces notes de bas de page ; elles font sourire ou surprennent… et puis j'avoue aussi : parfois j'en ai survolé l'une ou l'autre mais, comme dit plus haut, j'avais alors déjà compris que je n'y perdrais pas d'information majeure, peut-être juste un clin d'oeil… et puis on dévore d'autant mieux la suivante !

Deux dernières petites choses sur la narration, qui pour moi sont autant de signes de réussite. D'abord, il faut souligner que j'ai trouvé les scènes de combat (il y en a quelques-unes quand même) vraiment bien écrites ! Je n'ai pas encore lu énormément de fantasy, mais quand même quelques titres… et souvent c'est là que le bât blesse, comme si la plume de ces auteurs bloquait dès lors qu'il faut se jeter dans la mêlée et voir le sang jaillir ! Ici, toujours avec cette plume qui n'a pas peur des mots et des descriptions visuelles sans en faire un faux cinéma, on est réellement plongés dans l'action quelle qu'elle soit, y compris des combats qui ne sont pas de simples jeux d'enfant !
Par ailleurs, je parlais plus haut du retournement… j'oublie de dire que j'ai aussi beaucoup apprécié le cliffhanger qui apparaît tout à coup l'air de rien dans l'une des scènes finales, mais on sent là encore comme un clin d'oeil de l'auteur : le voyez-vous le message caché que je vous mets là l'air de rien ? Ah, il faudra lire le tome 2 pour découvrir si mon intuition est bonne, mais je suis quasi-persuadée qu'on tient là un élément qui ne peut que ressurgir. L'épilogue quant à lui joue son rôle tranquille d'épilogue : il offre une conclusion logique à ce premier tome, sans fioritures inutiles, il permettrait même qu'on en reste là car, en plus, il réconcilie le lecteur avec certaines parties plus dures qu'on n'avait pas tout à fait digérées.

Ainsi donc, si les quelques bémols soulevés plus haut font passer ce livre juste à côté du statut de coup de coeur, il n'en reste pas moins une excellente lecture. Je retiens par-dessus tout la plume enchanteresse et maîtrisée de Jay Kristoff, une certaine originalité dans la forme, et l'humour bien présent, comme en filigrane, malgré la noirceur de l'histoire.
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