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Critique de florigny


La maturité littéraire de Danya Kukafka est époustouflante, bien loin de l'image d'extrême jeunesse reflétée par ses photos, la montrant avec une frange et un col claudine de petite fille sage ; qu'elle soit considérée ici ou là comme un prodige est amplement justifié. J'ai lu Une exécution très lentement, désirant savourer chaque ligne, chaque idée développée par l'auteure et dire que j'ai été soufflée par l'intensité, la qualité, l'intelligence, la profondeur, l'universalité de ce roman ne reflète pas le choc ressenti ; depuis la lecture de Crime de Meyer Levin rien d'un tel niveau ne m'était arrivé.


Il a assassiné des jeunes filles, l'Etat va le tuer à son tour, au nom de la justice qui l'a rendu « éligible à la peine capitale » quelle belle expression, comme s'il avait décroché la cagnotte au loto. C'est sa dernière journée, il sait à la minute près à quelle heure sa vie terrestre s'arrêtera, au bout du couloir de la mort. Il a rédigé – comme un testament - une Théorie fumeuse, philosophie de bazar, vague exploration de la vérité humaine la plus fondamentale, selon laquelle personne n'est mauvais ou bon à cent pour cent. Chacun vit dans la grisaille entre les deux. Et bien sûr, compte-tenu de sa situation précaire, par opportunisme il considère que tout humain mérite d'avoir une seconde chance.


Le dernier jour d'un condamné, a été décrit par de nombreux auteurs depuis Victor Hugo et les amateurs de noir foncé sont coutumiers de leur présence sur les tables des libraires. Alors, qu'est-ce qui rend le roman de Danya Kukafka unique ? Pourquoi sidère-t-il ? Pourquoi provoque-t-il des réflexions qui longtemps, longtemps hantent le lecteur ?


L'angle d'attaque choisi par l'auteure est à mon sens, novateur, féministe, subversif. Trois femmes évoquent le dingo dont sa mère et la soeur jumelle d'une victime, celui qui dans certaines séries addictives et trompeuses ou romans complaisants attire des avocats tirés à quatre épingles qui tournent comme des mouches autour de ce tueur séduisant. Des génies du mal qui préméditent leurs actes horribles pour le plaisir, montrés comme des esprits brillants capables de manipuler la police et de monnayer des faveurs contre leur aide. Dans Une exécution (le « Une » indique qu'il pourrait s'agir de n'importe quelle autre exécution) le sériol quilleur n'a rien d'un génie du mal. Il n'est même pas intelligent, il a l'air d'un quidam ordinaire, quelconque, apathique, vieux et bouffi : un petit homme fade qui tue juste par envie de le faire.


En revanche, les victimes occupent la place prépondérante, bien que le malheur qui les a frappées arbitrairement, les réduise à une histoire, à un fait divers, à un sujet de conversation dont toute leur vie, elles sont contraintes de parler à mi-voix.


Le futur euthanasié sait que si quelqu'un avait pu faire quelque chose pour lui, il y a longtemps qu'il aurait reçu de l'aide ; les proches des victimes ou la mère du tueur s'interrogent sur leurs choix, sur le ressentiment ou les regrets qu'ils leur inspirent alors que sous leurs yeux se développent leurs conséquences. Et la policière qui a croisé le tueur dans sa jeunesse sait que pour chaque criminel qui correspond à un stéréotype, des dizaines d'autres y échappent car chaque cerveau est différent dans sa déviance et la souffrance prend des formes aussi variées que mystérieuses. Elle sait que la plongée dans la psychologie d'un suspect pour le comprendre est à la fois nécessaire mais qu'il s'agit aussi d'une démarche établissant avec lui une intimité équivoque. Tous ces aspects d'une même affaire sont racontés dans un style élaboré, riche ; les idées développées s'appuient sur des recherches documentées, et dans chaque page affleure l'humanité et l'intelligence de l'auteure.


J'en viens pour conclure à la partie la plus émouvante, poignante d'une exécution : lorsque Danya Kukafka évoque, mettant les larmes aux yeux des lecteurs, les possibilités, le nombre infini de vies que les victimes si jeunes n'ont pas vécues, le nombre illimité d'avenirs dont elles ont été privées par la volonté d'un prédateur.


A lire, de toute urgence ! Laissez tomber tout le reste.
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