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Critique de Osmanthe


Premier constat sur ce texte, il n'est pas consacré aux yakuzas en général, mais centré sur le seul personnage de Masatoshi Kumagai, dont l'auteur va retracer la remarquable carrière dans le milieu yakuza. Cet homme a un destin assez exceptionnel, tant parce qu'un documentaire lui avait été consacré, projeté au festival de Cannes en sa présence en 2007, que parce qu'il témoigne dans une série d'entretiens qui a conduit au présent ouvrage. On se doute que c'est un exercice très rare dans les milieux mafieux.

Kumagai a peu connu son père, qui vivait en Bolivie, et sa mère a toujours affiché une sécheresse de coeur incroyable, le laissant voler de ses propres ailes à 17 ans en lui laissant seulement 3 000 yens en poche, et ne le visitant que 5 minutes en prison sans parole réconfortante et même finalement sans prendre de nouvelles après qu'il eût poignardé deux hommes, heureusement pas à mort. Ce séjour derrière les barreaux brisera son ambition de devenir policier, et au contraire le rapprochera du milieu yakuza, où il fera ses gammes. L'auteur montre à travers des exemples précis et détaillés d'affaires auxquelles Kumagai a été, et surtout s'est impliqué pour trancher, comment cet homme est devenu une figure du milieu. Il y est parvenu par son charisme et sa science aigüe des codes comportementaux imposés.

Et est-ce quelque part la vision de Kumagai, ou le sens que l'auteur Tadashi Mukaidani a voulu donner à l'ouvrage, il fait figure de manuel du parfait manager d'entreprise. Sa structuration le montre bien, à travers les titres qu'il donne aux parties de son livre : accepter son destin, aux racines de l'esthétique, les valeurs qui sous-tendent les actions, l'interstice entre public et privé, avoir une âme, savoir ce que l'on vaut. Souvent, très souvent, il tire de l'attitude de Kumagai dans telle ou telle situation des conseils à l'attention des chefs d'équipes. C'est toujours pertinent, mais généralement rabâché dans tous les manuels de management. L'auteur a pris le parti de piocher dans ses entretiens ce qu'il veut démontrer, les citations directes des propos du parrain sont plutôt parcimonieuses. En outre, la progression du propos n'est pas véritablement chronologique, ce qui déboussole quelque peu le lecteur, et l'entame est trop longue, 60 pages pour revenir sur le coup réalisé par le réalisateur français Jean-Pierre Limosin qui réussit à approcher Kumagai, aboutissant à ce film Young Yakuza et à la montée des marches à Cannes, après une préface de Jérôme Pierrat qui le rencontra dès 2001 et plusieurs fois depuis, et qui a publié en 2007 « Enquête au coeur de la mafia japonaise ».

Heureusement, un glossaire des mots japonais utilisés, judicieusement placé au début de l'ouvrage, nous aide à mieux comprendre les valeurs développées au fil des pages, la progression du récit étant assez chaotique et peinant à exposer clairement ce qu'est un yakuza et l'étendue des activités de l'organisation. Au moins nous dit-on que les valeurs chères à Kumagai relèvent du Ninkyôdô, le code d'honneur, comprenant l'esprit d'entraide, de sacrifice, et l'esprit viril (Otokogi). Au gré de ces plus de 300 pages, se dégagent chez Kumagai une autorité naturelle imposant sens des responsabilités, fermeté, justice, exemplarité…qui font qu'un chef s'impose comme tel.

Bien sûr, même s'il est centré sur Kumagai, ce livre nous dévoile quand même des données sur les yakuzas. Trois organisations s'imposent largement sur le « secteur », et sont très hiérarchisées, comportant chacune de nombreux clans dirigés par des parrains (oyabun), secondés par un jikisan, et où un aniki est une sorte de grand-frère, un peu le contremaître. Oui, les yakuzas ont le corps tatoué et se coupent un doigt, et oui comme dans toutes les mafias, il y a des règlements de comptes sanglants. L'activité des yakuzas a connu son apogée au milieu des années 1980, avec l'insolente réussite économique du Japon. Mais avec l'éclatement de la bulle financière en 1991, la croissance s'est arrêtée et les autorités ont été moins conciliantes, qualifiant ces organisations de « groupes violents », faisant ainsi sensiblement baisser leurs effectifs.

J'avoue avoir eu un peu de mal à m'attacher au personnage, qu'on approche pas trop peu directement, à l'occasion de quelques scènes exemplaires, l'auteur nous imposant un filtre, gardant toujours la main pour présenter et défendre ce qui sont peut-être ses propres interprétations et théories sur les qualités managériales requises pour faire un bon chef, ce que je n'étais pas spécialement venu chercher. D'ailleurs, quitte à aller dans cette voie, pourquoi avoir pratiquement passé sous silence la manière dont Kumagai a remonté magnifiquement la pente dans la hiérarchie, après avoir chuté de son piédestal ? C'eût été une belle leçon de réussite managériale ! Enfin, j'ai eu du mal à suivre la logique d'organisation du récit, faute de l'emploi d'une chronologie rigoureuse.

Un avis quelque peu mitigé donc, mais cela reste un livre intéressant. Je remercie Babelio et La Manufacture de livres pour l'envoi gracieux de ce titre.
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